Pour noter JJBA dans sa globalité, j'ai considéré qu'il fallait que je fasse la moyenne des huit parties publiées à ce jour. Chacune de ces parties ayant ses propres protagonistes et, bien que liées les unes aux autres, lesdites parties demeurent des aventures à part entière et indépendantes.

Phantom Blood : 5/10
Battle Tendency : 6/10
Stardust Crusaders : 7/10
Diamond is Unbreakable : 9/10
Golden Wind : 5/10
Stone Ocean : 8/10
Steel Ball Run : 8/10
Jojolion : 1/10

Jojolands : HAHAHAHAHAHA QU'EST-CE QUE C'EST QUE ÇA ?! /10


On écope d'un beau 5,875 que je ramène à 5 plutôt que 6 sans que la note ne soit véritablement justifiée ; la globalité valant un confortable 8 sur 10. Toutefois, je maintiens cette notation. D'abord, car je considère qu'un coureur qui a parcouru 99 mètres sans franchir la ligne ne peut être sacré champion du cent mètres et, ensuite, car il est de bon ton de remettre l'église au milieu du village. Qu'est-ce que JJBA sans les stands ? Une petite épopée agitée et sympathique mais très rapide à oublier.


Dans les grandes lignes, et même une fois écrit serré, le scénario de Jojo's Bizarre Adventure (et de ses plus de cent-vingt tomes à l'heure actuelle) peut tenir dans un mouchoir de poche. La trame n'est pour ainsi dire qu'un prétexte aux confrontations systématiques et perpétuelles. Cela n'ôte évidemment en rien la superbe d'Araki quant à la mise en scène et le déroulé desdits affrontements durant lesquels l'ennui n'est plus permis. Cependant, l'honnêteté commande de ne pas tresser davantage de louanges à ce Shônen, déjà considéré comme mythique après plus de trente années de parution.


Non, la force JJBA n'est pas son scénario. La partie du manga tenue en plus haute estime - à savoir Stardust Crusaders - se veut simplement la narration d'un périple d'un point A à un point B pour affronter le boss final après avoir écarté ses subalternes un à un.
Même si les autres arcs narratifs qui suivront sédentariseront parfois les personnages principaux, le principe demeurera le même ; les sous-fifres, qu'ils soient inféodés ou non à l'antagoniste principal de la partie concernée (ce qui sera le cas en règle générale), ont vocation à être vaincus à la chaîne avant que le champion ne se dévoile pour un affrontement final dépassant souvent les limites de l'épique.


La force de JJBA, ce n'est pas non plus le charisme de ses personnages. Se bornant souvent chacun à des traits de caractères très sommaires, aussi bien du côté des personnages principaux que secondaires, il est parfois assez difficile de s'attacher à eux. Peu à peu, il n'est plus question d'entité humaine avec une personnalité et des aspirations, mais de l'hôte d'un stand au pouvoir défini.


Toutefois, la règle souffre ici de quelques rares exceptions. J'ai beau considérer ici l'attention portée au développement du caractère des personnages comme médiocre, Yoshikage Kira, par le réalisme de ses névroses et de ses failles est sans doute l'un des antagonistes de Shônen les mieux écrits qui soit. Haut la main, même. Sa rencontre au fil de ma lecture fut une surprise d'autant plus agréable que je ne l'espérais plus.


Une histoire au format timbre-poste, des personnages somme toute interchangeables ; que retirer dans ce cas de Jojo's Bizarre Adventure ? Un soin incontestable et quasi indépassable porté à la mise en scène et à l'astuce. Rares sont les auteurs capables de maintenir leurs lecteurs en haleine sans leur accorder le moindre répit. D'autant plus rares quand on sait qu'Araki pratique cet exercice depuis plus de trente ans maintenant sur cette même série. L'essoufflement s'est hélas fait méchamment sentir à l'aune de la huitième partie. Huitième partie succédant toutefois à un arc narratif où le sens même l'épique fut porté jusqu'à des strates que j'aurais cru inatteignables. Hirohiko Araki a, je pense, tout donné. Et ce tout se veut déjà gigantissime, car l'auteur se veut un styliste de génie, autant sur le plan du dessin que de l'agencement des perpétuelles belligérances dont il nous a gratifié jusqu'à lors.

Le réel potentiel du manga se dévoile à compter de la troisième partie (tome 12) et l'introduction du système pouvoir des personnages qui se voudra aussi la signature de l'œuvre : les Stands. Jusqu'à ce stade, Araki se cherche un style qu'il affinera et aiguisera sans cesse davantage de partie en partie.


D'abord avec des dessins se rapprochant de ce qu'avait pu produire Tetsuo Hara (Hokutô no Ken) en son temps, il nous fera découvrir en premier lieu un Shônen ma foi sympathique mais terriblement conventionnel pour l'époque. Un méchant très méchant, des gentils très purs et pétris de qualité, de la revanche, de la violence (qui là encore rappelle les frasques de Hara), que demande le peuple ?


Rien au départ ne laissait à supposer que JJBA entrerait dans la légende. Araki ayant d'ailleurs initialement prévu de stopper le manga suite à Stardust Crusaders (partie 3). L'engouement virulent et justifié pour cette nouvelle partie ravivera sa flamme (ainsi que celle de ses éditeurs) et l'amènera à poursuivre un manga supposé s'étendre sur trente tomes pour pulvériser aujourd'hui les cent-vingt.


Avant même d'aborder le principe des stands, la richesse de JJBA est aussi ce nouveau souffle apporté à la narration consistant à bousculer le lecteur et changer périodiquement son protagoniste principal. Le manga ne se décompose pas en arcs narratifs mais en parties distinctes. Le nouveau protagoniste se veut lié au précèdent par le sang et l'intrigue a lieu quelques années plus tard (bien que cela se complique par la suite). Une rupture dans la continuité, une continuité dans la rupture.


Ce procédé, permettant à l'auteur de changer radicalement de ton, passant aussi bien d'une épopée allant du Japon à l'Égypte pour ensuite concentrer son intrigue dans le milieu pénitentiaire américain non sans avoir abordé en premier lieu l'Angleterre victorienne nous prouvera qu'Araki ne s'interdit rien et sait nous offrir différents panels tous plus inattendus les uns que les autres.
Si l'intrigue n'est pas bien épaisse sur le papier, elle sait où elle va et s'y dirige avec une détermination inébranlable.


Mais JJBA ne serait jamais ce monument culte du Shônen (que l'on érige au Japon à la hauteur d'un Dragon Ball ou d'un Slam Dunk) sans l'introduction des stands. Les personnages amenés à évoluer dans la trame sont tous ou presque porteurs d'un stands, une entité psychique de forme généralement humanoïde ayant un pouvoir lui étant propre.


Pas question ici d'entraînements pour se renforcer mais de l'attribution d'un pouvoir précis, délimité et invariable (sauf exceptions notoires). Plus question de vaincre ses adversaires en bandant les muscles et en frappant le plus fort ; c'est celui qui fera le meilleur usage du pouvoir lui ayant été attribué qui remportera la mise.


Il va sans dire que la ruse, l'ingénierie et l'astuce auront une place prédominante et quasi-exclusive dans les affrontements. Y a t-il encore lieu de parler de confrontation ? Les collisions tiennent en réalité plus lieu de la résolution d'une énigme et la recherche d'une manière de la contourner afin de déjouer son adversaire (toujours violemment cela dit) qu'autre chose.


Les premiers pouvoirs se voudront assez peu élaborés, brutaux dans l'idée (manipuler le feu, donner des coups d'épée véloces et précis....) mais sauront toutefois révéler leurs surprises. Il ne s'en faudra pas de longtemps avant que des stands plus retors et astucieux ne se pointent. Un stand qui n'existe que dans les miroirs et inflige des dégâts physiques en s'attaquant au reflet de ses victimes, un stand capable de reconstituer ce qu'il a détruit (donnant lieu à des trésors d'ingéniosité dans les applications), un autre permettant de faire moisir ceux qui avancent vers une surface plus basse que celle sur laquelle ils se tiennent.... les pouvoirs se veulent aussi divers que variés. Les plus simples se révéleront souvent les plus porteurs d'astuce, leurs usages insoupçonnés nous prenant souvent par surprise.


Ces perles d'ingéniosité alliés au dynamisme et la méticulosité avec laquelle l'auteur arrange la réalisation des planches (le manga n'est guère qu'une succession de combats, chaque chapitre portant le nom du stand de l'adversaire et se décomposant en plusieurs volets) ne manqueront pas de ravir un lecteur, le plus généralement époustouflé par ce qu'il a sous les yeux.

Pire encore, torture parmi les tortures, Steel Ball Run - la septième partie - se verra publiée dans un nouveau magazine au format mensuel. Le dessin gagne considérablement en qualité alors qu'Araki a davantage de temps à consacrer à ses dessins. Le génie créatif n'est pas non plus en reste et le huit que j'attribue à cette partie précise n'est certainement pas volé. Il serait même un peu sous-évalué pour tout vous dire.


Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Surtout après plus de trente années d'existence. Jamais je n'aurais cru que quelqu'un puisse avoir une imagination assez fertile pour sans cesse créer de nouveaux pouvoirs improbable auxquels sera attribué des usages plus géniaux encore. La performance relève du tour de force.


Un tour de force qui aura fatigué l'athlète à force de performances démentielles. Car après l'extase de Steel Ball Run, la gueule de bois de Jojolion se pointe. Et elle fait mal. Très mal.

Araki s'essaie à l'intrigue. C'était ce qu'il manquait avec la constitution de personnages élaborés et intéressants. Mais force est de constater qu'il ne s'épanouit pas dans l'exercice. Le scénario est brouillon, part dans toutes les directions pour finir nulle part ; un désastre. Même les dessins semblent pâtir des années d'usure de l'auteur.


Des protagonistes plus insipides que jamais pour couronner le tout, ne reste au lecteur qu'à se raccrocher aux sacro-saints Stands. Mais la poule aux œufs d'or ne pond plus. Quelques déjections continuent toutefois de couler de son postérieur...

Quand les Stands présentés ne sont pas des resucées d'autre pré-existants (Le Justice de Enya et le Sticky Fingers de Buccelatti notamment), il s'agit de pouvoirs si absurdes qu'ils en deviennent aberrants. Le style et l'atmosphère «bizarre» justifiant le titre de l'œuvre se veulent cette fois forcés. Tout se sclérose à un point où, un des seuls mangas capable de me faire m'exalter à la parution de chaque nouveau chapitre ne me donne même plus envie d'être lu.


M'étant détourné pendant un temps de la parution, je m'essayais à un nouveau coup d'œil récent et, même avec plus d'un an sans le regarder, le train JJBA n'en finit pas de dérailler.

On peut toujours se consoler en se disant que chaque partie peut être lue indépendamment des autres (bien que toutes s'inscrivent dans la même intrigue globale) et que la gangrène Jojolion n'atteindra pas la qualité immaculée de ce qui l'a précédée ; mais le mal est fait. La chute fut brutale. Araki, que j'aurais cru incapable de décevoir (à quelques maladresses près, notamment la conclusion de l'arc Golden Wind) n'en finit pas de saboter son œuvre. Son chef-d'œuvre.

Qui sait, peut-être reviendrai-je quelques années plus tard sur cette critique et l'éditerai pour notifier à quel point la partie neuf (si tant est qu'il y en ait une) est démentielle. Mais après une foirade qui s'étale sur près de vingt tomes, j'ai peur de devoir renoncer à ce fantasme.


Pour reprendre l'allégorie du coureur de cent-mètres en introduction de cette critique, JJBA est un manga qui est parti doucement, se mêlant au reste de ses concurrents pour les dépasser brutalement, allant jusqu'à leur mettre plus de cinquante mètres dans la vue... avant de trébucher trente centimètres avant la ligne d'arrivée.


Contrairement aux autres auteurs de Shônen à succès qui sabordent leur création - plus lentement et insidieusement - je pardonne volontiers à Araki sa dernière partie encore en cours de publication à ce jour. Qui pourrait oser émettre le moindre grief à l'encontre de quelqu'un capable de perpétuer la légende Jojo's Bizarre Adventure durant si longtemps ? Créer un nouveau stand astucieux et fascinant, le mettre en scène avec suffisamment d'habileté pour nous couper le souffle tout en sublimant chapitre après chapitre la qualité graphique du tout et sans prendre de pause dans la parution... il est le seul dans sa catégorie. Indétrônable.


Ce n'est pas un coureur de cent mètres, c'est un marathonien prodigieux qui restera dans la légende malgré la fin de sa course que l'on aura vite-fait d'oublier pour se souvenir de ses exploits passés.

Josselin-B
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le 28 avr. 2023

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Josselin Bigaut

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