"Tu es cinglé."

Comparé à d'autres de ses séries, Joker : The Winning Card est un petit récit dans la bibliographie de King, racontant une énième fois la relation Batman-Joker et en tirant les conclusions habituelles sur leur macabre tandem et sur ces forces opposées et destructrices qui pourtant se complètent et ne peuvent qu'engendrer chaos et désolation dans leur lutte éternelle mais tragiquement fratricide.

Là où le comics est plus intéressant, c'est dans sa façon de dépeindre le Joker, qui est ici un tueur en série totalement déshumanisé voire un brin surnaturel, un boogeyman qui jaillit de l'ombre et frappe au hasard avant de retourner à l'obscurité, l'insondable mystère de la folie concentrée dans son regard où la couleur du remord s'est fondue dans les ténèbres depuis longtemps. Il ne parle d'ailleurs pas, ses répliques sont des cartons de texte façon film muet, hommage évident à L'Homme qui Rit de Paul Leni, inspiration directe du Clown. Je ne suis pas le plus grand fan du Joker parce que je trouve que sa surexploitation médiatique en a fait une figure plate et passablement redondante vidée de toute sa charge dramatique et politique autour de laquelle on ne fait que brosser les trois mêmes histoires de gangster, de psychopathe et de meilleur ami de Batman, mais King, dans toute l'humilité de ce petit récit sans ambition, tente une approche différente du personnage qui me plait bien. Encore une fois, sa gestion du découpage, des planches en gaufrier et des plans fixes est admirable, tout comme le dessin de Gerads qui se fait plus nerveux voire plus viscéral que tout ce qu'il a jamais dessiné auparavant pour Batman. Le récit vise l'efficacité, il frappe donc vite et fort avec des images violentes mais pas excessivement graphiques. Loin de se laisser emporter par le choc facile qu'un scénariste de troisième zone ou Scott Snyder pourraient vouloir insuffler avec un pitch pareil, King fait dans une retenue dérangeante, coupant pile comme il faut ses séquences. Le scénariste est peut-être l'un des héritiers les plus explicites d'Alan Moore, en tout cas dans sa façon de raconter ses histoires par le visuel et par la mise en scène de ses situations.

Seul petit bémol : la censure. Autant que dans Batman Rebirth et Batman/Catwoman (quisontdeschefs-d'oeuvresetjevousordonnedeleslirevousn'avezpaslechoixobéissez), les injures ponctuelles de Catwoman soient censurées et remplacées par les "%@°/#" habituels, ça passe et ça ajoute au comique de certaines situations, mais dans Winning Card ça jure énormément, parfois des dialogues entiers en sont saturés, et tous les jurons sont censurés, ce qui est vraiment stupide. Dites-moi, Urban, vous pensez choquer qui avec des gros mots dans un récits où le Joker fait littéralement du jonglage avec les globes oculaires de policiers arrachés sous les yeux de Gordon ? Je me doute que ça vient de la VO, mais on n'est pas obligés de subir toutes les hypocrisies de la future plus grande dictature néo-évangeliste de la planète !

Je vous dis #&µ%§ !

Bref, bonne histoire mais à ne pas prendre pour plus qu'elle n'est, à savoir une énième variation de la relation Batman-Joker, bien faite mais pas transcendante et c'est très bien comme ça.