La folie du Mask s'en prend à l'univers DC

La figure du Mask, avant tout connu pour son film en 1994 avec Jim Carrey, vient pourtant de la bande dessinée, édité par Dark Horse Comics, éditeur indépendant à qui on doit Hellboy et quelques autres perles.

La version sur grand écran propose un pitre, celle sur papier offre un clown violent, sadique et dangereux, bien que cet aspect se soit atténué par la suite. Les différentes mini-séries qui ont utilisé le masque ont longtemps été inédites en France, à l’exception de quelques unes, jusqu’à ce que l’excellent éditeur Délirium se lance dans leur adaptation, un pari tenté et relevé en 2019, suffisamment suivi pour se poursuivre et qui s'est conclue en 2022. Les deux premiers volets sont fantastiques, les autres moins.

Mais si The Mask a pu avoir malgré tout une petite présence dans le paysage éditorial français avant que Délirium ne s’attelle à la tâche, c’est grâce à la publication de quelques crossovers dans lesquels le personnage a été impliqué.

L’éditeur Semic avait ainsi publié entre 1997 et 2000 trois mini-séries, la première dans le Spécial DC n°1 avec Lobo & The Mask, puis dans le Planète Comics n°5 avec Grifter/The Mask et enfin dans le Spécial DC n°10 avec Joker/Mask (réedité en 2007 par Wetta). L’aventure délirante entre Lobo et « Grosse Tête » a longtemps été mon point de référence de ce que pouvait être le personnage en comics, c’est aussi l’un de mes comics marquants de ces années, grâce à sa folie délirante.

Plus de 20 ans après, ces pages ont droit à leur réédition, et c’est chez Urban Comics que ça se passe, qui a les droits du catalogue DC Comics. Délirium semble impliqué, l’éditeur est cité dans l’introduction tandis qu’une pleine page à la fin du livre renvoi aux aventures éditées. Ce doit être l’une des rares fois qu’Urban Comics s’allie à un autre concurrent, mais c’est une bonne chose, permettant ainsi l’édition de deux mini-séries citées plus haut.

En effet, Grifter/The Mask passe à la trappe, c’est dommage, mais le personnage de Grifter n’est plus vraiment connu de nos jours, et dans mes souvenirs ce n’était guère fabuleux. Il manque aussi le crossover The Mask/Marshall Law, inédit en français, mais peut-être se trouve-t’il dans les pages de l’intégrale à l’honneur de l’anti-héros publiée en 2019 par Urban Comics, mais sans trop y croire.

L’éditeur a fait d’ailleurs le choix de miser sa présentation autour de l’histoire entre le Joker et le Masque, sur la couverture et sur le résumé, ne citant qu’en quelques lignes au dos celle avec Lobo. Celle avec le clown de Gotham comporte plus d’épisodes et sa célébrité est sans commune mesure avec celle de Lobo, je comprends, tant que cela permet à de nouveaux lecteurs de s’intéresser à ces histoires. Mais le nouvel arrivant sera surpris par la différence de ton et d’humour entre les deux mini-séries.

Rappelons-le, le Masque est un accessoire magique, aux origines inconnues mais dont on connaît les implications. Une fois qu’il se retrouve sur le visage d’une personne, celle-ci se transforme en un bouffon sur-excité qui possède tous les pouvoirs, sans inhibitions. Tout devient possible, mais dans une farce continuelle, le Masque ayant un humour bien particulier, sans limites.

Le Joker étant amoral et sans filtres, il fait donc un candidat de choix. Le nouveau Joker devient donc encore plus dangereux, mais il se retrouve avec une nouvelle addiction, celle de faire rire tous les Gothamites en devenant l’animateur et le présentateur d’une chaîne de télévision à sa gloire. Batman est lourdement blessé dès le premier épisode, la police locale est à la peine, malgré l’arrivée du lieutenant Kellaway pour aider. La compagne du Joker, la charmante Harley Quinn, est décontenancée par ce nouveau Joker qui ne lui plaît pas. Mais il va être bien difficile d’arrêter quelqu’un omnipotent dans ses délires.

Cette mini-série en quatre épisodes est plus proche des incarnations animées des deux personnages, par le ton ou par le trait très cartoon, assez élastique et foufou de Ramon F. Bachs, une belle découverte. La violence est ici plus bridée, même si quelques morts dues au caprice du Joker seront bien présentes, bien que non représentées.

L’histoire d’Henry Gilroy (un habitué des séries d’animation, dont celle de Batman et The Mask, la boucle est bouclée) est assez plaisante, avec suffisamment de pages pour s’exprimer, entre les folies du Joker masqué, avide de plaire au public, et les personnes alentour qui vont tenter de l’arrêter, le plus souvent sans réussir, dépassés par les pouvoirs du clown mais pourtant toujours déterminés. Le récit offre ainsi un contrepoint intéressant, déséquilibré face à la puissance du Joker, avec des personnages bien écrits. Harley Quinn, qui venait juste d’être introduite dans l’univers papier canonique de Batman l’année précédente, est une belle réussite, elle est un peu maladroite mais veut bien faire, notamment aux yeux de son Joker d’amour qui, évidemment, ne la traite pas aussi bien qu’elle le mérite. Elle se révèle attachante plus que fofolle, et même un peu touchante.

L’humour est plus proche du cartoon presqu’inofensif que de la farce gore d’autres incarnations du Masque, mais le résultat reste le même, on sourit assez régulièrement devant les pitreries du Joker, qui n’est pas avare en chutes, explosions et en jeux de mots. Son évolution vers un humour plus « attendu », plus explosif, littéralement, sera tout de même l’instrument de sa chute.

Avec une équipe créative alors inconnue, Joker/The Mask est bien une sympathique aventure, dans un cadre plus policé mais malgré tout réussi, donnant une vision assez folle de ce que peut devenir le Joker avec l’artefact magique. Entraînant et amusant, ce crossover est une belle réussite.

Mais par rapport aux deux épisodes de Lobo/The Mask, il apparaît comme une promenade dans les champs de fleurs un bel après-midi d’été.

La confrontation ne pouvait être qu’explosive avec Lobo, motard et mercenaire de l’espace, un gros dur invincible et amoral, Hell’s Angel de l’espace, à qui on a promis une prime formidable pour l’arrestation du Masque.

Cette mini-série est signée de l’équipe créative qui a propulsé le Masque déjanté, John Arcudi et Doug Mahnke, à laquelle s’est ajoutée un autre ingrédient explosif, le scénariste Alan Grant, qui avait déjà fait des remous avec ses aventures du Judge Dredd.

Autant dire que la combinaison est explosive, d’autant plus qu’ils ne semblent pas intéressés de laisser l’univers DC dans l’état où ils l’ont trouvé. Entre Lobo et le Masque, l’affrontement va prendre des airs de stand de tir à grande échelle, de match de boxe sans filets, de poursuites motorisées sans respect du code de la route, et une fois qu’ils auront bien mis le boxon sur la Terre, ils iront faire leurs massacres dans toute la galaxie.

Et les autres super-héros ? Dans une case en silhouettes noires où on peut reconnaître aussi bien des héros DC que Marvel ils prennent la poudre d’escampette, avec de fausses excuses. Ils fuient devant la folie de ces deux gaillards lourdement armés et tous deux immortels, dans un cercle sans fin de violences. L’un veut son argent, l’autre prend évidemment un malin plaisir à ne pas se laisser faire.

Alors ça tranche, ça écrase, ça explose, dans une débauche de moyens qui ne se fait pas seulement entre eux mais aussi contre les personnages secondaires malheureux qui vont croiser leur chemin. La surenchère, déjà élevée, monte d'un cran quand Lobo récupère le masque, devenant une créature encore plus redoutable, encore plus dangereuse. La torture sadique d’un vigile par des mini Lobo ou les yeux du Masque propulsés par un canon à double canon qui va dessiner un visage avec les entrailles explosées d’un personnage sont des scènes qui m’avaient particulièrement marqué à l’époque, et qui ont gardé leur force provocative.

C’est de la folie, avec un scénario simple et léger qui voit les deux anti-héros s’affronter sans merci puis s’allier dans une alliance bien fragile, jusqu’à ce que Lobo en ait marre d’être mené en bateau. C’est une confrontation qui fait plus que des étincelles, qui explose, dans un délire de violence, comme un cartoon intoxiqué par la personnalité de ses deux personnages.

Et à ce petit jeu du toujours plus, le dessinateur Doug Manhke s’amuse, avec son trait massif et granuleux, qui pique. Certaines cases ne manquent pas de détails, dans le tranchage de corps ou de sang. Son Mask est d’une expressivité exagérée et caricaturale, tour à tour fou, désabusé, ironique, bref toujours mouvant et flou dans ses intentions. Certaines planches sont incroyables, d’un sens du spectacle évident bien que malsain, démontrant que l’artiste n’a pas voulu faire un travail de commande bâclé, bien au contraire.

J’ai longtemps eu Lobo/The Mask comme seul point de référence de la folie destructrice du personnage du Masque en bandes dessinées, mais je me rends maintenant compte avec la découverte de ses aventures publiées chez Délirium que cette mini-série dépasse en fait les standards habituels. Elle pousse les curseurs à fond, dans une recrudescence toujours plus loin de sa violence et de son humour gore et provocateur. Certains dialogues sont autant de tartes à la gueule échangées entre les personnages. Elle révèle un Mask des mêmes auteurs John Arcudi et Doug Mahnke mais qui exploitent toute la folie du personnage pour leur dernière collaboration avec lui.

C’est donc un curieux ouvrage que cet ouvrage édité par Urban Comics, avec son Joker mis en avant mais presque ridiculisé par cette deuxième histoire, comme un dessert explosif. J’espère que cet album n’a pas été offert à des enfants par leurs parents, attirés par la couverture assez cartoon. La progéniture a dû être surprise par ce deuxième récit à ne pas mettre entre toutes les mains.

Cette réédition d’histoires vieilles de plus de 20 ans, impossible à retrouver hormis chez les meilleurs bouquinistes, reste une excellente idée. Ce sont deux histoires assez différentes mais tout de même réussies du Masque avec deux personnages de DC qui se prêtent bien à l’exercice, dont Lobo, « le mâle plus ultra » qu’on voit trop peu. Le cocktail est détonnant, mais cela reste normal avec The Mask.

SimplySmackkk
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Mes critiques BD qui se sentent seules

Créée

le 4 janv. 2023

Critique lue 117 fois

8 j'aime

2 commentaires

SimplySmackkk

Écrit par

Critique lue 117 fois

8
2

Du même critique

Calmos
SimplySmackkk
8

Calmos x Bertrand Blier

La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais...

le 2 avr. 2020

50 j'aime

13

Scott Pilgrim
SimplySmackkk
8

We are Sex Bob-Omb and we are here to make you think about death and get sad and stuff!

Le film adaptant le comic-book culte de Brian aura pris son temps avant d'arriver en France, quatre mois après sa sortie aux Etats-Unis tandis que le Blu-Ray est déjà sur les rayons. Pourquoi tant de...

le 5 janv. 2011

44 j'aime

12

The King's Man - Première Mission
SimplySmackkk
7

Kingsman : Le Commencement, retour heureux

En 2015, adaptant le comic-book de Mark Millar, Matthew Vaughn signe avec le premier KingsMan: Services secrets une belle réussite, mêlant une certaine élégance anglaise infusée dans un film aux...

le 30 déc. 2021

39 j'aime

12