Le féminisme en biopic, c’est décidément la mode. Que ce soit au cinéma (« Jackie » de Pablo Larraín) ou en bande dessinée (Pénélope Bagieu avec « California Dreamin’ » et sa série « Culottées ») il semblerait que le recul des droits des femmes dans certains pays, à commencer aux Etats-Unis, provoque une impulsion créatrice d’hommage planétaire à ces femmes qui ont transcendé leur condition. Et s’il y en a deux qu’il est difficile de qualifier d’opportunistes au milieu de la vague, ce sont bien Catel et Bocquet. Ayant déjà disséqué la vie de Kiki de Montparnasse et Olympe de Gouges à travers deux pavés graphique en 2006 et 2012, les auteurs reviennent avec une autre femme du spectacle, qui fit de sa couleur de peau sa fierté et son cheval de bataille : Joséphine Baker.
Scénario : Par chapitres d’unité de lieu et de temps, Bocquet déroule sur plus de 400 pages la vie mouvementée de celle qui resta toujours pour sa mère la petite et rêveuse Tumpie des quartiers noirs de Saint Louis. Il faut dire que ses 68 ans d’existence ne furent pas de tout repos : remarquée par les impresarios de cabarets grâce à ses grimaces et ses harmonieuses mais sauvages chorégraphies faisant d’elle « l’incarnation du primitivisme » comme le clamait le tout-Paris, elle vogua de Cuba jusqu’au Japon. Car si Joséphine débuta sa carrière à Broadway, c’est bien en France qu’elle laissa une empreinte indélébile. Un pays qu’elle quitta régulièrement pour mieux y revenir, vivant le front africain de la Seconde Guerre Mondiale auprès des soldats alliés, partant en tournée en Amérique du Sud, ou militant pour le droit des Afro-américains aux côtés de Martin Luther King. Elle s’efforça avant tout de faire de sa vie un symbole d’une Nation-monde et multicolore, au point de se ruiner pour ses huit enfants de tous les continents qu’elle adopta. Pas avilie par le luxe, même lorsqu’elle transforma son château en parc touristique, son indépendance la conduisit tout de même à multiplier les amants (et pas n’importe lesquels) qu’elle délaissait constamment, trop fière pour se plier aux dogmes phallocrates, mais aussi pour n’être la femme que d’un seul homme.
Dessin : Le trait élégant de Catel sied à merveille aux lumières des grandes capitales comme des music-halls. Le noir et blanc franc de l’auteure articule un mouvement dansant qui éclate la monotonie si souvent redoutée du biopic. Joséphine, bondissante et aux poses toujours délicates et soignées, est particulièrement mise en valeur, sans faire de l’ombre aux nombreux autres grandes personnalités du XXème siècle qui croisèrent son chemin et aux décors souvent très détaillés et finement documentés. En instaurant une vigueur expressive renouvelée à la narration et ses multiples visages, jamais figés malgré leur ressemblance avec les individus représentés, Catel retranscrit un espace-temps avec une authenticité réjouissante.
Pour : Bocquet tisse un art de l’ellipse remarquablement maîtrisé, où les événements et les ruptures s’enchaînent avec une fluidité presque irréprochable. Peut-être qu’il s’appesantit trop sur les différents palaces que Joséphine acquit aux abords de Paris, mais il ne néglige jamais les différentes relations de la danseuse, qui la suivirent d’un bout à l’autre du monde, parfois épuisés de son caractère déterminé et volatile. Elle, garda la forme jusqu’aux fatals soucis de santé qui eurent raison de sa fougue.
Contre : Il est très frustrant que la courte période durant laquelle Joséphine fut espionne au service des Alliés ne soit pas plus détaillée tellement elle semble riche en rebondissements. C’est d’ailleurs l’un des seuls passages qui ne parvient pas à contourner les sempiternelles explications par de longues bulles artificielles, la preuve que cette période-là aurait mérité une plus grande parenthèse.
Pour conclure : Il fallait bien une vie riche en rencontres, en lieux et en symboles comme celle de Joséphine Baker pour contenter un couple d’auteurs friands des longs voyages. Aussi bien artiste-étendard que féministe remontée contre le racisme, Baker concentre à elle seule des thèmes essentiels à la compréhension de son époque.
Voir ma critique de « California Dreamin’ » : https://www.senscritique.com/bd/California_Dreamin/critique/68243357