Jours de sable
7.7
Jours de sable

Roman graphique de Aimée de Jongh (2021)

Dans un contexte de grande dépression, un jeune photographe est embauché par la Farm Security Administration (FSA), un office gouvernemental qui entend rendre compte, à travers un reportage photo, de la situation sociale dans la Dust Bowl, une région située dans les grandes plaines des États-Unis et dévastée par d’incessantes tempêtes de poussière.


D’abord distant de son sujet d’étude et incité par son employeur à scénariser son reportage photo pour susciter l’émotion de ses contemporains, le héros se laisse progressivement happer par cette région déshéritée et par la chaleur de ceux qui l’habitent.


Le récit est émaillé de photos d’époques, réellement prises par des photographes de la FSA, qui font écho à la fonction du photographe. Elles ouvrent, au début de chaque chapitre, une fenêtre sur le réel et témoignent de la véracité des situations dépeintes, avant de laisser de place au dessin qui les lie à l’histoire.


Et c’est là le premier choc de cette œuvre, car le réel montré parait presque invraisemblable, tant il est crépusculaire, apocalyptique. Derrière la grande dépression vécue dans les villes et connue de tous, se cache le destin d’une région rurale qui subit les conséquences de la surexploitation des sols par l’homme. Une région prise par des tempêtes de poussière, colossales, grandioses, terrifiantes. Magnifiquement mises en images par l’autrice, elles balaient les terres, les assèchent, affament les hommes et parfois les tuent.


Mais cette histoire est surtout l’histoire d’un glissement, celui de l’urbain, venu de loin, homme de l’extérieur, il commence son œuvre photographique en fonctionnaire scrupuleux et distant, mais, au fil du temps qui passe, abandonne sa posture initiale et s’abandonne à ce monde qui lui semblait pourtant si inhospitalier.


La progression est subtile, légère, mais inexorable. Au fil des pages, au gré des rites de passage vécus par le héros, apparait la certitude que ce voyage est sans retour.


Parfois contemplatives, les cases proposent des jeux de lumières empruntés à la photographie, certaines doubles planches témoignent parfaitement des grands espaces traversés et les découpes suspendent le temps dans ces immensités vides.


Mais dans le récit surgissent des moments d’intensités.

Une tempête de poussière, ébouriffante, annihilatrice, ou la fureur du sable fait disparaitre les paysages, les bâtiments, le personnage, puis les étoiles et la lumière.
Une nuit passée seul dans un désert glacial qui débouche sur la rencontre quasi mystique, au petit matin, d’un cheval et de sa maitresse.
Une autre nuit passée dans la chaleur humaine d’une famille qui, célébrant un mariage prochain, lui ouvre son intimité et le transforme, lui, le photographe, en homme de l’intérieur, en fragment de son sujet.


Alors que le personnage vacille, l’album nous questionne, sur la fonction des images, sur les « vérités » qu’elles montrent, sur ce qui reste hors cadre, sur la distance qu’elles créent entre le photographe, le public et les sujets photographiés.
Et, c’est donc baigné dans ces pensées que l’on referme l’album, avec la tentation de trouver étonnamment moderne et familier le funeste destin des populations de la dust bowl.

trashguy
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le 4 nov. 2021

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