Va m’en falloir des néologismes en renfort, peut-être même une admission à l’Académie des Lettres. Y’a pas le choix, vous dis-je, car le mot « cliché » ne suffira jamais à traduire l’intensité de ce ramassis de poncifs ambulants qu’est « Jusqu’à ce que la mort vous sépare ». Là, me voilà franchement admiratif du bousin, le manga ne tient littéralement debout que grâce à cet intarissable flots de clichés ; c’en est la charpente même de l’œuvre. Ah oui, il va falloir que je lui trouve un autre terme à « cliché », car « truisme » et « lieu-commun », devant l’ampleur du désastre annoncé, ne me seront d’aucun secours.


Je propose « pelliculé », on reste ainsi raccord à la notion de « cliché » photo, et les deux dernières syllabes riment en plus divinement avec le sentiment qui nous effleure tout du long de la lecture. On va le sentir passer.


Jeune fille pure et innocente captive de Yakuza ? La base. Un héros joli garçon qu’elle mêle à ses affaires ? Enfin, c’est l’évidence. Le protagoniste est aveugle et expert en arts-martiaux, usant d’une canne-épée pour latter des Yakuzas idiots ? Il n’aurait su en être autrement, voyons. La nana exige de lui qu’il le protège « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » alors qu’ils viennent de se rencontrer, avec ce grand couillon qui accepte ce marché où il n’a rien à gagner ? Pas de problème ! Enfin si, un problème : on va devoir lire ça, nous autres. Enfin, moi, surtout, pour vous épargner le chemin de croix. Parce que croyez-moi bien que tout du long de ce calvaire, la croix, c’est pas sur l’épaule que vous la sentirez.

Où donc ? Encore une fois, demandez-vous avec quoi rime « pelliculé » et vous en aurez une idée bien précise.


Figurez-vous que la donzelle voit l’avenir. Faut croire que c’est contagieux, parce que voilà que moi aussi. Je déflore à peine le premier chapitre et voilà que je sais que je vais passer un moment atroce étalé sur vingt-six tomes.

Tiens… une jeune fille qui voit l’avenir et dont se sert la mafia… j’aurais pas vu ça quelque part ailleurs en bien mieux ? Le fruit de mon imagination sans doute. Je n’oserais croire en effet qu’un auteur si appliqué dans son écriture soit en plus un vulgaire plagiaire.


Les dessins font le café. Mais sans sucre et sans crème. N’espérez pas un coup de crayon déplacé qui fut à même de singulariser l’auteur. Il fait le strict minimum dans ce qui s’acceptait de plus conformiste pour l’époque, inhérent au registre qui est le sien. Y’a pas de mal à en dire de ses dessins, si ce n’est qu’ils n’ont rien d’intéressant tout en étant convenablement fonctionnels. Les phases d’action sont en revanche plates, misant sur un surplus de dynamisme dans les effets graphiques pour dissimuler le manque d’idée flagrante de mise en scène.


Bien sûr, le garde-du-corps – même pas je m’embarrasse à retenir le nom de Mamoru – jouera le bourru de service. « Ouais, non, moi, je veux pas rester à tes côtés tout le temps, je suis un dur sans attaches, tu fois. » et puis finalement si. Il a dû voir le titre du manga et se raviser. Le scénario le lui commande ; la raison, beaucoup moins.


Mamoru sera donc une sorte de mercenaire professionnel, mais gentil, hein ; il ne dérouille que les gens antipathiques. En gros, c’est un Ryo Saeba qui se sera cramé les rétines et le sens de l’humour. Le manga n’est plus qu’un défilé où il y figurera comme l’unique mannequin en parade. Allez, il tabasse à lui seul tel groupe armé, allez, il recommence à chaque chapitre qui vient, allez, il s’en sort sans avoir à écraser une goutte de sueur.


Quelle raison objective pourrait pousser un individu censé à lire une purge pareille, où le schéma est si répétitif qu’on se demande parfois si l’on n’a pas lu deux fois le même chapitre par inadvertance. Sans cesse dynamisé par une action stérile, équivalent pour le lecteur à un porte-clé qu’on agite devant un nouveau-né pour capter son attention, l’œuvre se lance à cœur perdu vers nulle part sans jamais manquer de faire un barouf tonitruant. Les amateurs de Black Lagoon et Sun Ken-Rock reconnaîtront la même marque de fabrique, celle-ci n’étant apparemment faite que de malfaçons grossières.


Les bels gens défouraillent à tout va et les moches – qui tendent à s’embellir – recueillent lames et munitions dans leur chair ; voilà une saine répartition des tâches, remarquablement huilée de surcroît alors que le procédé ne déroge jamais d’un iota à ce schéma pourtant si étriqué qu’il serait aisé de s’en émanciper par erreur. Mais monsieur Takashige tient fermement la barre pour nous perdre diligemment vers les récifs rocheux. Le déshonneur est sauf et la catastrophe garantie à chaque nouvelle page qui nous parvient. Y’a une constance à se saborder qui force l’admiration. Pardon, « l’indignation » ; j’ai fourché.


Pour avoir lu les trois critiques antérieures à la mienne sur le site, je retiens que le manga fut très apprécié de chacun, mais qu’on se garde chaque fois d’apporter le moindre argument pour justifier l’engouement. Rien qu’un « J’aime bien », fainéant et abscons, n’engageant à rien si ce n’est à égarer des lecteurs innocents, incapable de nous dire ce qu’il y a de bien à lire Jusqu’à ce que la Mort nous sépare. Remarquez que je ne leur reproche pas ; auraient-ils voulu plaider dans le sens de leur thèse qu’ils en seraient devenus atones.


Eh bien moi, j’aime pas. J’aime pas qu’on me prenne pour un con, déjà, et qu’on me jette sous les yeux une machine à drame perpétuelle dont les mouvements hypnotiques et convenus sont entrelacés de phases d’action répétitives et quelconques. Non, j’aime décidément pas gambader au milieu de la foire aux lieux-communs, assourdis par les « pan pan », « vroum vroum » et autres « Baoum ! » qui n’engageront les protagonistes à aucune forme de poursuite pénale. Je le répète : c’est Black Lagoon qui se joue ici ; vous avez lu le premier, vous aurez le le second. Et même que vice versa.


L’intrigue, ou ce qui lient lieu de supplétif, s’orchestrait-elle dans un milieu fictif, fut-ce un monde alternatif ou une trame de science fiction, que j’aurais au moins su faire l’impasse sur les débordements de destruction et les cascades de crevés. Mais ici, la bande à Mamoru décanille le tout venant sans jamais que les pouvoirs publics ne paraissent s’alarmer outre mesure.


Avec plus de dix tomes dans les mirettes – faire une pause toutes les deux heures, les enfants, sinon on peut devenir fou à lier – je prenais ce qu’il fallait de recul sur le scénario pour observais ce que j’avais déjà prévu : au bas mot, 95 % de l’écriture est à jeter à la poubelle. La trame narrative est un remplissage de tous les instants où s’y multiplient les passades et antagonistes de circonstance pour prolonger l’intrigue avec la seule finalité de ce faire, sans qu’aucun agrément ne soit prévu au moins en vaseline. La parution est étirée encore et toujours à un point où c’en devient obscène. Vingt-six tome de ça, me direz-vous, c’est déjà de l’indécence caractérisée. Criminelle, ajouterais-je avec ce qu’il faut de frustration de m’être imposé pareil supplice. Il fallait encore ça pour alimenter ma haine et que la déflagration du bûcher que je ferai de l’œuvre n’en soit que plus incandescente.


À ce stade, j’ignore s’il faut être plus dingue pour lire ou écrire ce qui me sera passé tous les yeux tout en me tombant sans cesse des mains. C’est si lourd, mais lourd, que la force de vos avant-bras ne vous suffira pas à soulever les tomes. Farcir un manga avec tant de poncifs, ça le bourre jusqu’à lui faire frôler la kilotonne de mauvais goût.


Là où c’en est dramatique, c’est qu’un pareil concept – piqué à Togashi, j’insiste – aurait pu être une amorce toute trouvée pour fonder une histoire intelligente. Un personnage qui peut voir l’avenir au centre de complots, luttes de pouvoirs et de manigances ; y’a de quoi écrire une intrigue noueuse. Vous aurez à la place un ramassis de poseurs venus entrechoquer les épées et vider les crachoirs à poudre en plein centre-ville.


Ah oui, y’aura de la science aussi. Des histoires de clonage et de… de la merde. Plein les murs, plein les planches, que ça et tout du long : de la merde. Soyez prévenus, sensibles que vous êtes aux poncifs ridicules et éculés ; y’en a pas un qui sera omis de tout le long.


Je ne sais même pas pourquoi on garnit les chapitres de tant de dialogues, il ne se dit jamais rien. Le vide se meuble sans cesse désespérément et, pour donner le change aux détonations et lacérations multiples, on parle pour relater l’évidence, sans jamais qu’une parole n’ait un soupçon d’intérêt pour le lecteur.

La déconnade va sans cesse plus loin, explore les ramifications internationales. Avec des mafieux qui disent « capisce », de sorte à ce que jamais on ne soit à court de stéréotypes. Heureusement que l’auteur n’a pas été puisé ses antagonistes jusqu’au Congo, il leur aurait mis une banane à chaque oreille. Il l’aurait fait, croyez-moi !


La fin cependant est spectaculaire et surprendra un lecteur lassé, qui pris au dépourvu, sera gratifié d’une des conclusions d’œuvre les mieux conçues de…

Non. Évidemment que non. Le grand gentil, il y casse la gueule au grand méchant – qui n’avait qu’à pas être méchant ! – mais qui en fait, devient gentil, preuve s’il en fallait une qu’il faut frapper les gens très fort pour qu’ils deviennent sympathiques, et la greluche, qui n’a servi à rien si ce n’est à nous couvrir sans arrêt de ses grands yeux aux pupilles dilatées, va administrer le pays pour qu’advienne un règne de… je sais pas… de justice… d’équité… de… j’en sais rien. Après ça, le très myope va piner la gamine – après avoir attendu prudemment qu’elle soit légale, les anglo-saxons appellent ça le « grooming » – pis c’est bon, on remballe après que tous les clichés aient ainsi été jetés sur l’œuvre jusqu’à la toute dernière page.


Que voulez-vous que je vous dise ? Qu’il est honteux que des masses entières de lecteurs apathiques et sans une once de respect d’eux-mêmes plébiscitent de tels désastres au point où ceux-ci finissent répandus par millions sur les étals ? Je l’ai déjà dit mille fois peut-être ; la bile me manque, à force. Dites-vous bien que ces gens-là doivent vivre avec eux-mêmes chaque jour – de trop – qui leur est alloué. J’estime à ce titre qu’ils sont suffisamment punis comme cela, je n’aimerais en tout cas pas être à leur place, dépourvus de ce qu’il faut de papilles pour pouvoir seulement distinguer un reliquat d’intestin d’une somptuosité gastronomique. Si McDo fait du chiffre, après tout, pourquoi les mangakas sans aucune idée en tête ne pourraient-ils pas fonder leur fortune sur les veaux ? Harashi Takashige, comme d’autres, ne se sera en tout cas pas privé de le faire.

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Josselin Bigaut

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