Quelques années avant le très fameux All-Star Superman, Quitely et Morrison font déjà équipe ensemble pour un travail très proche, dans l'esprit du futur All-Star, ne pas créer de nouvelles origines, mais remettre en avant le symbole de personnages de l'univers DC. Ici, c'est le Crime Syndicat qui est visé. Certains diront que Morrison donne au groupe de supers-vilains de nouvelles origines mais ça tient bien plus à mettre en valeur toute l'âme de cette version négative de la Justice League. Est-ce que Justice League : Earth-Two (traduit en français par l'Autre Terre) est digne de son petit-frère, c'est ce que nous allons voir.
Aux confins de l'univers, il existe une Terre semblable à celle que l'on connait, mais tout y est inversé. L'axe de rotation n'est pas le même, le cœur des humains est à droite, les États-Unis ont envahi l'Angleterre, Adolf Hitler fut un héro et surtout un groupe de supers-vilains gouverne le monde. Ultraman, Superwoman, Owlman, Power Ring et Johnny Quick (versions maléfiques de Superman, Wonderwoman, Batman, Green Lantern et Flash) ont le monde entre leurs mains. Le seul héro qui essaye de s'opposer à eux, mais finit toujours par échouer est Alexander Luthor.
Ce-dernier tente alors le tout pour le tout. Après avoir découvert l'existence d'un autre univers semblable au sien mais où le bien finit par l'emporter, Luthor décide de s'y rendre pour demander à la Justice League de venir l'aider à mettre fin aux méfaits du Crime Syndicat. Ceux-ci acceptent mais laissent Aquaman et Martian Manhunter protéger la Terre en leur absence.
Cependant, sur cette Terre où tout est inverser, faire le bien n'est ce pas faire le mal ? L'éthique ne s'oppose-t-elle pas à la politique locale ? Y a-t-il une chance que les choses changent en profondeur ? Autant de questions qui ne sont pas le plus gros problème, car, comme l'a deviné Owlman, homme à l'esprit augmenté artificiellement, pour l'équilibre des univers, si la Justice League est sur leur Terre, le Crime Syndicat va devoir aller sur l'autre Terre... Un monde sans Justice League pourra-t-il faire face à ces vilains de la pire espèce .
Plus que l'aventure présentée ici, Morrison se sert de se prétexte pour réfléchir grandement aux fondamentaux de l'univers DC et au rapport du lecteur vis à vis du multivers. Autant de pistes qui seront de nouveau exploitées lors de Multiversity, n'est ce pas ? Les bonnes idées fourmillent et plutôt que de donner des "réponses", je préfère mettre en avant plusieurs réflexions qu'on peut avoir. Ainsi, on notera bien que le titre originale de l'oeuvre est Earth-Two et non Earth-Three (la terre habituellement offerte au Crime Syndicat). Or, Luthor avoue qu'une fois arrivée sur la Terre de la Justice League, il ne savait comment l'appeler et a opté pour Earth-Two ... Il s'agit là de la seule occurrence du terme dans l'ensemble de l'oeuvre.
Pourquoi me direz vous ? Et bien sans donner de véritable réponse, je suppose que Morrison nous amène à réfléchir : la Terre de la Justice League c'est la Terre-2, la "non-vraie" car c'est celle où le bien l'emporte toujours. Mais pourquoi l'Histoire est elle la même que la notre ? Serions nous sur une "Terre-0" et il y aurait une sorte de rapport pair/impair entre les mondes ? Je pense en tout cas qu'il y a ici une profonde réflexion sur l'aspect super-héroïque de ce monde comme il y a une réflexion.
La place des supers-héros est, de toute manière, bien réfléchie et Morisson avance quelques réflexions intéressantes. On appréciera à ce propos que les personnages du Crime Syndicat soit doté de réflexions et d'un peu de profondeur, en particulier Superwoman et Owlman. Ce-dernier étant particulièrement intéressant, on sent que ça a touché Geoff Johns pour son Forever Evil. Luthor est également très réussi. Globalement d'ailleurs l'histoire est très sympathique il faut l'avouer. Notons ce combat Ultraman/Martian Manhunter, un pur moment de gloire à mes yeux !
Quitely, de son côté se fait bien plaisir. Son trait a beau ne pas être aussi parfait que pour All-Star, et sa Wonderwoman est même franchement moche, c'est assez sympa. Je trouve globalement que c'est moins bien maîtrisé que ça ne le sera dans le futur à mon grand regret. Je trouve qu'il ne se dégage pas la même prestance des personnages que ça le sera dans le futur. On notera cependant tous les petits détails qu'il met en place dans les fonds, c'est un vrai plaisir, une chasse aux trésors.
Notons un autre détail amusant : Morrison a déjà (et encore) l'amour du monde inversé comme dans All-Star Superman où il avait offert deux chapitres au Bizarro World. Là encore on a un monde inversé, aussi bien en terme de moralité qu'en terme de géographie ou de biologie. Et dans les deux cas, il n'y a qu'un seul être "rationnel" et "bon" selon nos critère, Luthor et Zibarro. Et leurs quêtes sont vouées à l'échec à cause de cela, car leur "normalité" est, enfaite, la preuve d'une dégénérescence totale. Mais est-ce mauvais ? Là encore, Morrison s'interroge et pousse le lecteur à faire de même sur la notion de "bien" et de "mal".
Justice League : Earth-Two offre de nombreuses réflexions d'éthique, de politique même (sur l’interventionnisme) et sur le monde de DC et les supers-héros qui le composent. Cependant Morrison et Quitely ne réalisent pas non plus leur plus beau travail et l'histoire en fond manque peut être, justement, de profondeur. Notamment sur les révélations de l'ennemi ultime. On a un peu l'impression à un twist gratuit et une résolution identique qui n'ont d'autres buts que d'amener à la situation finale et aux réflexions des héros eux-même.
Une BD à réfléchir avant tout.