Après The Golden Age, excellent récit mais hors de la continuité, les justiciers de la vieille école étaient revenus en 1999 pour refonder leur équipe, agrémentée de nouveaux membres de la nouvelle génération. La relance de la Justice Society of America, rebaptisée JSA (clin d'oeil avec JLA, l’excellente reprise en main de la Justice League of America en 1997 par Grant Morrison), est entre les bonnes mains de James Robinson et David S. Goyer.
Après une décennie qui aura plutôt poussé ces premiers héros de l’univers DC considérés comme trop vieux à la marge, cette année 1999 aura donc permis de les faire revenir à l’honneur tout en leur attribuant une véritable identité. S’ils incarnent un certain âge d’or passé de l’héroïsme, la nouvelle équipe traite aussi d’un des thèmes forts de l’univers DC Comics, celui de la transmission.
Mais très rapidement James Robinson ne peut plus assurer le suivi du titre, parallèlement à sa série Starman, refonte d’un personnage de la Justice Society. Aux côtés de David S. Goyer se retrouve donc maintenant Geoff Johns. Le passage de relais se fait en bon intelligence, puisque si le scénariste est encore jeune, il avait déjà lui aussi repris le titre et le costume d’un personnage de la société de justice pour l’offrir à une nouvelle représentante au sein de Stars and S.T.R.I.P.E. Ce sont alors les premiers pas d’une nouvelle plume qui quelques années plus tard modèlera profondément l’univers DC (sa reprise de Green Lantern, la mini-série Blackest Night, Flashpoint, etc. et la refonte avec The New 52 et ses suites, malgré quelques ratés).
Voici donc où en nous sommes en 2000, et avec ce deuxième tome de la collection DC Chronicles qui suit chronologiquement les aventures de certains héros ou franchises DC par années, accompagnés de quelques suppléments, dont ici les précieuses informations de Yann Graf pour contextualiser certains moments de l’historique chargé de la société de justice.
Pour autant, l’agréable lecture du premier tome, malgré ses quelques épisodes accessoires, ne se retrouve plus telle quelle. La relance de la Justice Society par James Robinson et David S. Goyer jouait avec la double notion d’un certain héroïsme de ces grandes figures mais aussi d’une transmission du rôle et des responsabilités vers une nouvelle génération. Les personnages faisaient corps au sein d’une même équipe et avec elle son histoire, mais avec le regard tourné vers l’avenir. Cela permettait ainsi d’offrir bien plus au lectorat qu’une carte de visite de temps passés, mais bien un nouveau point d’étape pour découvrir leurs nouvelles aventures, pour les plus anciens et les plus curieux.
Dans les épisodes de Geoff Johns et David S. Goyer, l’heure semble au grand rassemblement. Les épisodes vont alors puiser dans les principaux points de l’historique pour faire revenir le plus de personnages possibles. Certains avaient déjà été réinterprétés ailleurs (Dr Mid-Nite, Mister Terrific), ils sont incorporés, dans une inflation qui ne peut mener qu’à une seule conséquence : l’impossibilité de tous les faire exister, de leur donner à chacun sa voix propre, une identité personnelle dans la mêlée. L’épisode ainsi consacré au vieux briscard Wildcat est ainsi rafraîchissant, mais le héros matou et boxeur ne retrouvera plus autant d’importance par la suite. Certains ont droit à un peu plus d’exposition, mais à ce petit jeu on perçoit les chouchous (Hawkgirl, Atom Smasher, etc.) et cela reste tout de même bien léger et bien sûr sans grande parité.
L’année 1999 était celle où il fallait rappeler au lectorat l’existence de cette équipe et son identité. Mais cette année 2000 semble être celle où le passé est convoqué à tour de bras mais sans l’effort de présenter l’importance de tel ou autre personnage. Le travail de pédagogie en est délaissé, Geoff Johns est un passionné de la continuité de DC, ce qui n’est pas le cas de certains qui devront accepter des rebondissements qui passent à côté des moins érudits.
Dès lors, certaines scènes, certains retours ou certains rebondissements n’ont plus la même force sans une petite connaissance attendue à la lecture. D’autant plus que le duo de scénaristes s’il fait revenir Black Adam dans une ébauche qui allait mener à son interprétation actuelle, a fait le choix d’impliquer deux vilains certes parties liées avec la JSA mais qui ne sont pas les adversaires les plus notables de cette décennie. Extant fut bien l’une des grandes menaces des années 1990 notamment avec le crossover Zero Hour (1994) qui avait froidement décimé l’équipe, mais il est une menace très menaçante et très méchante mais surtout sans grande consistance.
Et c’est bien regrettable, car même si quelque chose s’est perdu dans le portrait des personnages, il y a malgré tout un certain plaisir à suivre leurs aventures, leur esprit d’équipe, les liens qui les unissent restent présents. Mais si leurs péripéties ne manquent pas de rebondissements, et ne suivent pas forcément un fil linéaire si bateau, les menaces présentées manquent de véritables personnalités. L’absence de nuances est peut-être un hommage à l’héroïsme naïf des vieilles aventures, mais semble anachronique face à une écriture globale qui reste moderne (avec certains personnages plus tourmentés) malgré toutes ces reprises du passé.
La poursuite de la JSA s’essouffle donc, même si elle reste appréciable. Elle s’adapte à l’arrivée de Geoff Johns, qui veut jouer avec l’histoire de la série mais en oublie de consolider son équipe et de mieux présenter les nombreux retours. Elle devient une série superhéroique de plus, avec ses méchants aux psychologies basiques, mais dont les affrontements restent assez rythmés. L’existence d’histoires concentrées en un seul épisode ou sur plusieurs à la suite permet aussi de varier la lecture, de condenser en quelques pages ou de développer l’intrigue. Aux dessins, Stephen Sadowski et Buzz n’épatent pas la galerie, mais restent dans le haut du panier des conventions du genre, c’est agréable et c’est lisible.
Ce volume contient les épisodes 6 à 15 de la série JSA, ainsi que son Annual de 2000 (qui comme son nom l’indique est un épisode spécial annuel, généralement avec plus de pages) par la même équipe créatrice. Ce dernier introduit deux nouveaux personnages et met l’accent sur Black Canary, Hawk Girl et Wonder Woman (mère), soit un casting plus féminin et resserré. Il reste assez accessoire, mais semble présenter des pistes qui devraient être reprises plus tard.
Deux autres mini-séries composent le sommaire, prises en charge par d’autres artistes, permettant ainsi de découvrir leur interprétation de l’équipe et qui se révèlent assez réussies.
DC 2000 offre une belle promesse, celle de réunir à nouveau la Justice League et la Justice Society, comme elles avaient l’habitude de le faire régulièrement avant l’événement Crisis. Cette fois il s’agit de mêler plusieurs temporalités, car si la Justice League ici présente est moderne, celle de la société de justice est celle des années 1940, elles ne se sont pas encore rencontrées. Un despote du futur T.O. Morrow est remonté dans le passé pour proposer des avancées technologiques avant qu’elles ne soient inventées, ceci afin de créer une ligne temporelle qui lui sera favorable. Comme la plupart des intrigues entre passé, présent et futur, cela reste assez bancal, mais qu’importe. C’est cette relation entre les deux équipes qui est plus intéressante, où la Justice League intervient discrètement pour remettre le passé dans les bons rails, tandis que la Justice Society, d’abord méfiante, se révélera hostile aux agissements de l’autre équipe, une fois qu’ils auront pris connaissance de leur époque et des défauts contemporains qu'ils veulent éviter.
L’approche de Tom Peyer (un autre grand repreneur de l’univers de la Société de justice de ces années avec sa série Hourman lancée en 1999) ne manque pas en tout cas d’un certain piquant, qui montre la Société de justice avec une certaine humanité dans la possibilité de faire des erreurs, sans l’aura d’héros sans peur et sans reproches que certains scénaristes ont pu leur coller quand il s’agissait de faire revivre leur « âge d’or ». Une attitude qui est aussi une réaction à celle de la Justice League, qui ne veut pas leur offrir trop d’informations sur le futur, ce qui ne pouvait que créer des méfiances. Ces deux épisodes touchent du doigt certaines problématiques, sur la prédestination ou la manipulation des masses, même si cela reste sommaire. L’ensemble est en tout cas accrocheur, et T.O. Morrow malgré une certaine petitesse d’esprit est pourtant un antagoniste assez impressionnant, malin et arriviste plutôt qu’un homme d’action, avec une certaine humanité comme on peut le voir à la fin. Le trait vif et anguleux de Val Semeiks est en plus un régal, moderne mais avec un certain académisme, vraiment racé.
Avec JSA : The Liberty Files on quitte cette fois les capes et les costumes pour une réinterprétation assez audacieuse. Batman, Hourman et Dr Mid-Nite sont les protagonistes d’une histoire se déroulant dans le Caïre pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais d’un certain réalisme noir. Les costumes sont réinventés avec les possibilités textiles, et l’ensemble évoque plus un film noir que la grande galéjade superhéroique si fréquente. Si l’histoire, la poursuite d’un Joker chef de gang redoutable mais devenu amnésique, reste acceptable, c’est bien la certaine noirceur présentée qui fait sens, dans les ruelles louches d’une ville plongée dans la nuit, la paranoïa d’un Brucce Wayne proche de la psychopathie ou les défauts bien humains des autres personnages. Les dialogues sont bien ciselés, parfois crus. Cela se termine malheureusement en quelques pages condensées, comme s’il avait fallu s’arrêter précipitamment et c’est tellement regrettable, tant l’univers était prometteur. Mais deux suites sont depuis parues dans le même univers crée par Dan Jolley et Tony Harris, en 2003 et en 2012, hélas inédites en France.
Le style visuel de Tony Harris d’un réalisme sombre, aux effets de texture et d’ombre assez recherchés, à la mise en page nerveuse, est assurément la plus belle claque visuelle de cette anthologie des aventures de la Justice Society parues dans l’année 2000.
JSA Chronicles 2000 se révèle donc un album assez surprenant, dans la mesure où la série principale commence à patiner tandis que d’autres mini-séries créent la surprise. Cela rappelle encore que s’il n’y a pas de bons ou mauvais personnages, sans les bons créatifs qui tirent les ficelles le spectacle ne vaut rien.
Heureusement la suite de la série par Geof Johns regagne en intérêt.