Justicier malgré lui - SuperGroom, tome 1 par arnonaud

Je pensais que SuperGroom était juste un spin-off bizarre de la série Spirou et Fantasio, un peu à la manière du Petit Spirou, mais c'est en réalité la suite directe du run de Yoann et Vehlmann sur Spirou, qui devient un des runs les plus bizarres de la série, vu que leur première histoire était le premier tome du "Une histoire de Spirou et Fantasio par...", ensuite il y a les tomes 51 à 55, le tome hors-série avec les histoires courtes et donc la suite dans ces SuperGroom qui sont dans un autre format, plus petit et à plus forte pagination.

Le teasing de la fin du tome 55 sur les nazis trouve donc sa réponse ici (mais c'est un élément vite dégagé parce que ce n'est pas du tout le focus de ce tome), et on a des références directes à ce qui s'est passé dans la Colère du Marsupilami ainsi que le retour de Blythe Presloweky qu'on avait vu au moins dans le tome 52 (et peut-être dans d'autres tomes ensuite mais je m'en souviens plus). Mais en même temps, c'est un tome 1 et on sent la volonté d'aller chercher des nouveaux lecteurs qui n'auraient jamais lu Spirou avec tout un prologue pour présenter le perso. En plus je crois que le concept de SuperGroom est issu d'une histoire courte contenu dans le tome hors-série du duo, donc le prologue sert aussi à la résumer vite fait. Bref, c'est un peu un bordel bizarre entre une envie d'accessibilité et des références plutôt pointues pour les spirouphiles. Mais peut-être que les nouveaux lecteurs sauront passer outre celles-ci.

Et sur comment ça s'intègre avec Spirou 56 ? Je pense qu'il faut considérer l'après 55 comme un embranchement entre deux réalités alternatives : celle du 56 et celle ou Spirou devient SuperGroom. A voir aussi comment se termine SuperGroom T.2 et si la série va continuer, peut-être qu'on peut considérer cette série spin-off comme les évènements se passant entre les tomes 55 et le 56 ?

Bref, en tout cas c'est intéressant de voir les auteurs vouloir explorer Spirou sur un format plus long (ce qu'a aussi voulu faire Emile Bravo de son côté). Et c'est amusant de les voir lorgner sur les super-héros, qui sont certes très populaires au ciné, mais dont les comics ne vendent pas des masses en France. En tout cas, ça reprend le format et la pagination des comics, mais guère plus. Il n'y a pas de chapitrage pour rappeler les issues US par exemple et le découpage est peut-être vaguement influencé par les comics mais Yoann reste globalement très sage à ce niveau là. En terme de scénario on sent plus l'influence des films de super-héros que des comics, notamment avec l'épilogue qui sonne comme une scène post-générique (mais qui est aussi tout à fait dans la continuité des teasings de fin de tome que fait le duo depuis le début de leur reprise).

Ce format plus long est en tout cas vachement intéressant puisqu'il permet à Vehlmann d'approfondir Spirou, de le montrer dans son quotidien, et de prendre des pages entières pour développer d'autres persos. C'est assez inédit dans la série, mais c'est assez plaisant de les voir gagner en densité. Et là où le tome 55 était vraiment un hommage à la série classique, ici Vehlmann s'empare de Spirou et appuie à fond son côté écolo en le faisant carrément devenir décroissant (ce qui n'est pas pour me déplaire), et d'un Spirou qui ne veut plus de voyages en avion polluants, on en vient vite à un Spirou qui en a carrément marre des aventures et veux prendre sa retraite en cultivant son jardin. Il perd alors son emploi auprès de Dupuis, s'appauvri, et il doit vendre sa voiture et prendre une habitation plus modeste. Sacré virage pour le perso.

Fantasio était déjà étonnement en retrait dans les précédents Spirou de Vehlmann et là il profite du changement de série pour l'eclipser encore plus : on le voit vite fait au début et très vite à la fin mais sinon il est totalement absent. D'habitude c'est Spirou qui fait chier les scénaristes par son côté trop boy-scout mais Vehlmann semble vraiment apprécier son côté droit dans ses bottes et le fait qu'il essaye de faire au mieux pour être en accord avec ses idéaux.

Donc à part ça on a une intrigue à base d'imposteur dans le costume de SuperGroom, et tout une intrigue sur les méfaits de la gentrification des villes, et ça fonctionne plutôt bien. Le gros point fort du tome, outre l'approfondissement de Spirou, est à mon sens le personnage de Lubna, un perso féminin fort et charismatique avec une super petite origin story, et qui offre un contrepoint intéressant à Spirou parce qu'elle est aussi animée par des idéaux de justice mais elle est beaucoup moins encline à respecter la loi. Leur face à face ne va pas bien loin mais soulève des thèmes intéressants.

Sinon on peut aussi souligner quelques scènes d'action sympa et j'aime bien le fait qu'il y ait également un vilain qui ait le droit à sa petite origin story. J'aime également le fait que l'action se passe à Bruxelles, je trouve ça toujours bien de clairement ancrer Spirou dans la Belgique. Après tout, son costume est aux couleurs du drapeau !

Et je vais pas forcément m'étendre plus longtemps parce que la critique me semble déjà bien longue. Donc globalement c'est amusant de voir l'univers de Spirou bousculé ainsi. Bien sur on s'éloigne des canons de la série mais je suis toujours preneur de ce genre de reprises audacieuses sur Spirou. L'album, sans être incroyable, est loin d'être désagréable à lire et me confirme que j'aime bien les aventures en long format pour le groom. Je suis maintenant curieux de voir ce que donnera le tome 2.