Spirou est de retour aux éditions Dupuis. À la croisée des chemins, aventurier en quête de normalisation, il provoque malgré lui une inflation de super-héros tout en se penchant sur les arcanes de la spéculation foncière bruxelloise.
« Je crois que j’en ai marre de toujours devoir sauver tout le monde. » Spirou est las. Non seulement ses aventures incessantes occupent tout son temps, mais en plus son public se détourne de lui au profit des super-héros Marvel ou DC. Il se questionne sur son mode de vie, regrette ses voyages riches en émission de carbone, alors qu’il prône par conviction la décroissance et le respect de l’environnement. « Vivre à une échelle humaine », « jardiner », « s’engager dans une simple assoce de quartier » : voilà ce à quoi aspire aujourd’hui le héros de Yoann et Vehlmann.
Problème : l’une des ses facéties tourne mal. Alors qu’il se déguise en SuperGroom pour attirer sur lui des projecteurs tout entiers voués aux « crétins en collant », il provoque une série d’incidents malencontreux… et une inflation de super-héros ! Tout commence par une usurpation d’identité : la jeune Lubna, récemment expulsée de chez elle sur fond de spéculation foncière, décide de prendre masque et gadgets (fabriqués artisanalement) pour se venger de promoteurs immobiliers voraces. Alors que SuperGroom a disparu des radars, elle choisit de prendre son relais en se faisant passer pour lui. Et se lance bientôt dans une campagne médiatique de recrutement de super-héros plutôt réussie… Caution Kick-Ass 2.
La lucidité du discours de Spirou sur sa situation précarisée par le succès immense des super-héros constitue la première bonne surprise de l’album. La réflexion sur les plans de modernisation des centres urbains débouchant sur des phénomènes de gentrification en est une autre. La mixité sociale devient ainsi le faux nez de la spéculation foncière. Pis, la fraude et les tentatives d’intimidation font partie du tableau d’ensemble. Nova Brussels, le centre commercial Sky Diamond et l’agence Power & Partners symbolisent dans l’album ce qui contribue aujourd’hui à nourrir la crise du logement. Une solution est toutefois avancée dans les dernières pages de SuperGroom – avant un épilogue mystérieux : une réglementation des loyers et la construction de logements sociaux.
De bout en bout, le récit apparaît rythmé et l’humour, irrésistible. Du running gag (« Ça devient gênant ») aux répliques parfaitement troussées (Spip : « Je ne sais pas qui, du bilan carbone, de la véracité historique ou du bon goût, est le plus mortellement touché par ce programme… »), en passant par un capitalisme confondu avec des tours de béton et des embouteillages interminables, SuperGroom parvient toujours à faire mouche. Les dessins et expressions sont très réussis, mais le clou du spectacle demeure peut-être le déménagement forcé de Spirou. En refusant de participer à de nouvelles aventures pour enfin vivre une vie « normale », il renonce à ses droits d’adaptation, donc par ricochet à son logement onéreux. Cela le pousse à migrer vers l’un des quartiers les moins chers de Bruxelles, où il obtient une ristourne sur le loyer d’une modeste maison, privée de charme comme de lumière, en acceptant de la retaper. Extrait choisi :
Fantasio : « C’est l’espace poubelle, là ? »
Spirou : « Non, c’est mon jardin »
Et voilà, après l’écologie, le marché de l’immobilier qui s’invite sans prévenir dans la vie de Spirou…
Sur Le Mag du Ciné