Moonlight Act m’avait quelque peu entamé le moral lorsque je m’en étais sali mes prunelles dessus. Des promesses avaient été faites à compter de l’élaboration de son synopsis ; nulles ne furent respectées. Avec ce manga, nous avions les murs sans la charpente et, sans surprise, tout aura fini par s’écrouler sur son lecteur. Cumulant les forfaitures pour le plaisir de les exhiber en médailles, nous retrouvons alors le même auteur aux manettes. Cartésien en diable, je sais que la méfiance est de mise car les mêmes causes engendrent bien souvent les mêmes effets.
Le premier chapitre de Karakuri Circus, si l’on révise ses espérances à la baisse, est acceptable et suffisamment engageant pour se risquer à y mettre les doigts. Pour autant, je me doutais qu’une tapette à souris viendrait bien assez se claquer sur mes phalanges alors que j’avançais trop confiant. C’est très rudimentaire comme postulat ; rupestre même. Un pro du kung-fu est atteint d’une maladie qui l’amène à s’étouffer s’il ne fait pas rire son prochain, il rencontre un enfant poursuivi par des automates et lui vient en aide. Faire rire pour ne pas mourir, on aurait juré que Yoshio Sawai s’était fixé cet objectif en rédigeant son œuvre.
Du fait de ce seul point de départ, nous étions en droit d’espérer – et même d’exiger – de l’humour. Eh bien cet humour, nous pourrions même le mendier désespérément que nous n’en serions pas couvert d’une bribe. Croyez-moi bien que l’auteur, négligemment, rangera au placard cette histoire de maladie, incapable qu’il est de savoir faire rire. Et à quoi se vouer si même l’ersatz de scénario initialement brodé nous file entre les doigts ? Les personnages ? Un petit garçon innocent, un caïd gueulard au cœur d’or et une jeune femme forte. Ces personnages-là, ils ont un rôle à tenir, mais pas de caractère pour les singulariser et encore moins les développer. Les Flash-Backs auront beau faire, ils ne contribueront finalement qu’à aménager la misère. Comme trop souvent quand il est question de Shônen.
« Qu’en est-il des dessins ? » me demanderont ceux qui n’auront pas croisé du regard la première de couverture. Tous les contours sont très anguleux, quasi isométriques. Il y a bien un style qui soit foncièrement typique de son auteur, mais les gabarits, les perspectives, et les détails : vous oubliez. Quelques planches feront bien sûr illusion pour laisser entendre qu’il y a parfois quelques traits à se mettre sous la dent, mais on aura beau mettre trois gouttes de sirop dans un verre d’eau, le goût du sucre ne sera jamais à portée du palais. À bien y regarder, on dirait du Nobuyuki Fukumoto qui s’essaierait à une élaboration plus prononcée de ses esquisses. Or, si les dessins de Fukumoto sont efficaces, c’est précisément parce qu’ils ne cherchent pas à relater des phases d’action énergiques et perpétuelles. Hélas, le style ici se prête bien mal à ce qu’il cherche à projeter sur nos yeux. On lui en préférera mille autres étant nettement mieux attribués à l’action.
Et d’action, il ne sera justement question que de ça ici. Le propos de la trame semble être de s’agiter perpétuellement, en toute occasion, de relancer la machine en continu, même si elle vient à fumer, pour que jamais le répit ne soit. Est-ce trépidant pour autant ? Pas le moins du monde. Les chapitres et les arcs qui se succèdent depuis bien longtemps – trop longtemps – visent à tromper l’ennui du lecteur en agitant frénétiquement tous les éléments qui composent son récit. Le résultat n’est alors pas ébouriffant mais simplement bordélique.
De scénario, il n’y en a pas des masses ; rien que des prétextes à la castagne ayant pour seule finalité d’amonceler les bastons les unes aux autres le long d’un patchwork bien mal cousu. Construire un récit qui ne serait basiquement fait que d’une succession de combats à la suite… ça s’est déjà fait, mais avec ce qu’il fallait de scénographie et d’ingéniosité pour justement rendre le séjour plaisant. Lorsqu’on a qu’une arme dans son arsenal, on prend en principe soin de l’affûter. Et pourtant, bien que Karakuri Circus repose tout le corps de son œuvre sur ses seuls affrontements, ceux-ci nous sont indifférents au possible. De la puissance brute abracadabrantesque et mal articulée, le tout s’agençant sans effort de chorégraphie ou de mise en scène ; je relisais purement et simplement Ken-Ichi. Que tout cela est fouillis, que tout cela est brouillon, que tout cela est bruyant et que tout cela est écrit sans imagination.
Voilà encore un Shônen écrit depuis la pointe d’un stylo dépourvu de la moindre goutte d’encre. L’émotion y est factice à outrance et rien ne cherche à grandir l’œuvre en aucune occasion. Ça n’est évidemment pas aussi cataclysmique que peuvent l’être les monuments du genre : ces Nekketsus monstrueux qui vous glacent tant tous les efforts semblent portés vers le mauvais goût et la fainéantise scripturale, mais on n’est guère qu’un cran au-dessus. La vérité, c’est que Karakuri Circus est trop morne et insipide pour seulement pouvoir postuler au titre de ce qui se fait de pire en la matière. En ces pages, tout s’agite constamment sans que rien n’avance jamais. Et pour avancer vers où de toute manière ? Les seuls objectifs qui nous sont présentés ne sont qu’une succession d’excuses fumeuses pour prolonger la vie d’une entité en état de mort cérébrale depuis sa naissance. Sans idée à soi, sans passion et sans surprise, Karakuri Circus s’est attaché la cheville à la remorque du Shônen de base pour se laisser tracter sans effort. Il en résulte alors un récit qui se laisse sagement traîner comme une larve pour profiter lui aussi des rentes honteuses permises par le genre, et tout particulièrement par ses couillons de lecteurs. Les lecteurs de Shônens sans esprit critique ; ces mécènes des temps modernes dont le porte-monnaie bien garni ne contribue qu’à entretenir la vermine. Je n’accablerai cependant pas le lectorat français plus que de rigueur qui, dans son infini clairvoyance, aura tout de même contraint les éditeurs locaux à ne pas aller au-delà du volume vingt-deux.
Je passe évidemment sur les révélations en peau de lapin qui, en séries, cherchent à faire rebondir une trame trop grasse pour seulement être capable de jaillir de par ses seules forces. L’intrigue n’existe qu’artificiellement pour la seule finalité de se perpétuer, se foutant alors bien de seulement chercher à donner un propos à son existence éditoriale. Il n’y a dans cette œuvre que des clichés, mais des clichés sans éclat qui n’ont même pas le mérite de briller un bref instant. Quand les répliques fusent, même lorsqu’elles sont crachées à plein poumons, on jurerait qu’elle sont en réalité récitées d’une voix blasée et sans emphase. Toute l’œuvre porte le poids d’une lassitude patente induite par une écriture absente. Du bruit et des agitations comme seule perspective à la lecture, voilà pour Karakuri Circus. Les Bai Yin et autres Francine ne sont que les rouages d’une histoire au format automate, une qui répète en boucle ses mécanismes sommaires pour ne remplir finalement qu’une fonction élémentaire.
La fonction de Karakuri Circus me demanderez-vous ? Sa finalité ? Eh bien, de même que les rouages d’une horloge servent à donner l’heure, chaque élément du présent manga ne sert qu’à convertir l’encre en pognon. Oui, on s’en rend bien mieux compte avec Karakuri Circus ; le milieu du Shônen est devenu une machine à fric d’où l’art et la création ont été purgés afin de laisser place à une banalité tapageuse à même de séduire les esprits les moins exigeants. Une machine à prospecter l’absence de goût de ses lecteurs ; du point de vue de l’ingénierie, c’est brillant, d’un point de vue artistique, c’est simplement inqualifiable.