Karakuridôji Ultimo par Ninesisters
Drôle de projet que cet Ultimo. D’un côté nous avons Hiroyuki Takei, auteur du célèbre Shaman King, et mangaka autant apprécié que décrié, notamment en raison de la fin pour le moins abrupte de son titre phare (dont nous ne pouvons pas dire qu’il soit entièrement responsable). De l’autre, nous trouvons Stan Lee, un des plus grands talents créatifs et commerciaux du XXème Siècle, qui aura profondément marqué l’histoire des comics. Deux artistes que j’apprécie, et dans le cas de Stan Lee, j’oserai même avancer que je le respecte (même si une part non négligeable de l’aura qui l’accompagne aujourd’hui est à mettre au crédit de Jack Kirby ou Steve Ditko).
Il y a de cela quelques années, Stan Lee décide de s’intéresser de plus près au Japon, non pas concernant les versions manga des classiques de Marvel Comics ou leurs adaptations animées, mais pour créer des projets originaux. Ultimo est un de ceux-là.
Stan Lee est officiellement crédité comme scénariste de Ultimo, mais il ne faut pas être dupe. Du haut de ses 90 ans, son travail consiste avant tout à répondre aux interviews, à faire des apparitions dans des films ou des séries TV d’inspiration « geek », et à profiter d’une retraite bien méritée. S’il fût un bourreau de travail en son temps, difficile de l’imaginer aujourd’hui soutenir les rythmes de l’industrie du manga. Il a donc probablement jeté les premières idées, les grandes lignes de l’histoire, et aura laissé Hiroyuki Takei combler les vides. Dans un sens, c’est rassurant. Là où nous sentons bien son influence, c’est dans le personnage de Dunstan, qui lui ressemble étrangement, mais avec une musculature beaucoup plus avantageuse (le mangaka doit être myope).
Concrètement, voilà les idées en question : un mystérieux personnage nommé Dunstan cherche à répondre à la question qui hante son existence : qui du Bien ou du Mal est le plus fort ? Dans cette optique, il crée deux marionnettes dotées de pouvoirs incroyables : Ultimo, avatar du Bien, et Vice, représentant du Mal. En se renforçant auprès de maîtres humains puis en s’affrontant, l’issue de leur combat donnera une réponse à Dunstan.
Au début, le manga donne l’impression de pouvoir se résoudre en 5 ou 6 volumes, ce qui n’aurait pas été étonnant pour un travail de commande. C’était sans compter sur un mangaka qui semble se prendre au jeu. Malheureusement, il ne donne pas l’impression de savoir vers quoi il se dirige ; après 7 tomes, l’histoire a changé plusieurs fois d’orientation, a vu ses enjeux modifiés en cours de route, autant dire que nous avons affaire à une œuvre pour le moins chaotique.
Au bout d’un moment, Hiroyuki Takei semble avoir du mal à composer avec les bases imposées par Stan Lee, vouloir donner sa propre vision à son manga mais rester bloqué par ce qu’il a déjà écrit. En d’autres termes, nous avons une série qui, en terme de volume, a déjà bien avancé, mais qui n’a pas pour autant réellement commencé.
C’est vexant, forcément. Le lecteur se trouve dans un flou total, et chaque nouveau tome semble devoir être accompagné de nouveaux retournements de situation, de nouvelles évolutions aussi notables qu’imprévisibles, qui empêchent d’avoir la moindre vision à court-terme de ce qui va bien pouvoir arriver dans cette histoire.
Dommage, car ce manga n’est pas spécialement désagréable à lire. Nous reconnaissons le style habituel de Hiroyuki Takei, avec ses duels, sa science du design – toujours très originale – couplée à un dessin percutant, son humour, et ses allusions sexuelles incessantes. Mais son scénario, c’est le foutoir. Le concept de la série – dont il n’est pas l’instigateur premier – semble lui imposer des éléments dont il ne veut pas, et il se trouve obligé de jongler avec, sans trop savoir que faire. Comment voulez-vous bâtir un titre harmonieux de cette façon ?
Même si cela fait plaisir de retrouver Hiroyuki Takei, le projet Ultimo parait bien bancal. Au bout de 7 volumes, difficile de comprendre de quoi il va bien pouvoir parler, ce qui est plutôt handicapant. Il semble malheureusement condamner à l’échec en raison de ses contraintes de base.