Cette copieuse œuvre de plus de 200 pages nous arrive d’un pays mal connu pour ses bandes dessinées, l’Afrique du Sud. Le dépaysement est assuré, puisqu’elle s’ancre dans les terres du bassin de Kariba, entre la Zambie et le Zimbabwe. Le barrage de Kariba est l’un des plus grands du monde, mais il a aussi été le responsable du déplacement de 57 000 personnes.
Folie humaine ou moteur de développement pour la région, l’album ne tranche pas vraiment. Son histoire se situe dans sa phase de finalisation, dans les années 1950. Elle aborde notamment le risque qu’il fait peser sur les régions et les peuplades concernées. Sur une culture qui risque d’être engloutie, mais aussi la magie à l’oeuvre, toujours présente. L’esprit du fleuve, Nyaminyami, veille, mais c’est une divinité de la résurrection, elle meurt pour renaître. Certaines personnes veulent en profiter pour assurer leurs objectifs.
Siku est une jeune fille, elle a été adoptée par Tongai qui l’avait trouvé bébé dans une cité perdue. Son père adoptif a appris qui elle était, elle est liée au fleuve, elle a de grands pouvoirs qu’elle va découvrir : elle peut contrôler l’eau, mais au risque de se faire engloutir par des esprits mystiques.
Siku est donc la clé du devenir de cette région. Les responsables du barrage, des tribus possédés, des pirates fluviaux veulent l’avoir avec eux, pour contrôler ou préserver le fleuve. Mais elle ne veut que retrouver son père, absorbé par le fleuve alors qu’il voulait l’empêcher de lui prendre sa fille.
C’est le début d’une grande aventure, qui sera aussi une quête initiatique pour la jeune fille, à la poursuite de ses origines mais surtout de sa place dans ce monde, en tant qu’interprète de dieux anciens.
Le récit mêle donc les péripéties de Siku, adorable jeune fille, volontaire et déterminée mais dépassée par toutes les attentes placées sur elle, à des considérations parfois mystiques, parfois oniriques, sur un monde amené à changer. L’album invite à accepter la magie de ces mondes menacés par l’irruption du barrage et de ses conséquences.
Kariba est une bande dessinée, financée sur Kickstarter et dont l’existence devait servir à développer un film d’animation ; on peut admirer un très joli teaser ici. Malgré quelques ajustements en cours de route, lire Kariba offre cette sensation de découvrir un dessin animé, au point parfois de paraître un peu trop calibré à cette fin. Dans son découpage parfois très décompressé, très précis pour présenter tout ce qu’il se passe, l’oeuvre rappelle un story-board, mais mis en images avec application. Il y a aussi un rythme très réglé, où les péripéties les plus agitées et les moments les plus introspectifs se répondent régulièrement, tandis que la conclusion se termine en beauté, avec un sens du spectacle certain. Mais il n’aurait probablement pas été inutile de couper un peu, notamment dans les scènes oniriques où Siku se confronte à sa véritable nature, un peu trop présentes et démonstratives.
L’ensemble est tout de même assez joli, mais le trait très dessin animé, bien qu’un peu cahoteux, force encore une fois de plus la comparaison avec l’envie de créer un long métrage animé. Les expressions faciales sont très importantes, très précises, suffisamment exagérées pour bien faire comprendre la personnalité de chacun et de ce qu’il ressent dans telle case. Mais la féerie proposée, dans les décors ou les séquence oniriques, peine un peu à se créer, la faute probablement à des outils technologiques qui manquent de chaleurs. Les couleurs, notamment, sont un peu trop sombres et manquent de nuances.
Les premières pages de Kariba peuvent se lire ici.
Une héroïne forte, à la croisée d’un monde moderne et d’un monde animiste, dans une mise en forme proche de certaines classiques animés. L’inspiration est évidente, celle des plus grands films Ghibli. Les pirates proposés ne sont d’ailleurs pas loin de ceux de Porco Rosso dans leurs attitudes et l’album ne manque pas d’hydravions. Le cadre africain renouvelle l’exotisme, la magie attendue est différente. Kariba est une œuvre plaisante, prévue pour un public jeunesse qui acceptera plus facilement ses défauts, mais qui a suffisamment de charme pour être découverte par les plus grands.