« D’accord, c’est entendu, Kasane n’était VRAIMENT pas un manga pour toi, est-ce une raison pour s’essuyer les pieds dedans ? »


Anticipateur comme je le suis, je rédige les réponses avant de poser les questions ; j’appréhende les commentaires qui me seront adressés. Je les appréhende d’autant plus anxieux que je sais, pour une fois, qu’ils ne viseront pas nécessairement à côté lorsqu’ils mettront en avant une incompatibilité d’humeur entre ce qui émane de l’œuvre et ce qui résonne en moi. Il n’empêche, il y a quelque chose de pourri au royaume de Kasane.


Oui, c’est une référence à Hamlet. Le théâtre est de mise avec l’œuvre-ci. Les pièces ne seront cependant pas aussi époustouflantes qu’une de celles qui aura pu m’ébaudir en d’autres temps ; en d’autres pages. Non, le drame s’y accomplira ici pour la finalité du drame ; sur les planches et plus encore au dehors.


Elle peut changer de visage, notre personnage principal, en le substituant à celui de celle qu’elle embrasse avec la marque de son rouge-à-lèvres. Le ressort fantastique n’est pas pour me déplaire, il ouvre la voie, en principe, à bien des manipulations. Sauf que tout sera ici circonscrit autour de ce maudit théâtre dont les planches grinceront sous la lourdeur du drame. Ah il est lourd ce drame qui nous vient. Non pas lourd de ses enjeux et de ses incidences, mais de ses boursouflures affectées et ampoulées.


Je lis ici et là que Kasane serait un spectaculaire Seinen. C’est pourtant vrai qu’il est catégorisé comme tel. J’y ai vu pour ma part un Josei assommant qui m’aura martelé le crâne de ses poncifs jusqu’à provoquer chez moi une fureur à son endroit. Non, décidément, il convient de remettre l’église au milieu du village et la Guillotine en place publique.


Avec le sentiment invariable – et même croissant – à chaque chapitre que j’effeuillais, de lire un feuilleton dramatique, ma lecture, de là, n’en a pas été plus agréable. Imaginez ce jeu théâtral américain, quand les comédiens prennent des poses si sévères et sérieuses qu’ils en deviennent ridicules, Kasane, c’est ça sans arrêt. Les personnages sont tourmentés, sachez-le. À commencer par celle qui doit son nom au manga ; à moins que ne soit l’inverse. Je ne vous parle pas de tourments qu’on rumine pudiquement dans un silence introspectif, en proie à un doux fatalisme. Non, ça prend des poses, ça parle haut, ça s’agite – dramatiquement, toujours – pour nous vomir plusieurs salves de dilemmes. Le tout au milieu des pièces de théâtres « Parce que c’est un drame qui se joue avec une pièce dramatique en toile de fond, tu voiiiis ». Les personnages sont horripilants au possible. J’ai le sentiment que jamais qui que ce soit ne sera arrêté un instant pour souffler et se détendre ; Kasane est une machine à perpétuer du drame en continu. Quand une crise est passée, une autre survient.


Le scénario est ampoulé. On sait bien qu’elle est vouée à se faire gauler et, même en multipliant les astuces pour se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, le vernis craquera. Peut-être que certains lisent en attendant ce moment fatidique ; qu’ils regardent l’édifice chanceler avec l’espoir avoué de l’apercevoir s’effondrer. L’auteur joue de ça, elle embarque sa protagoniste sans cesse plus loin dans une série d’ennuis venus s’agglomérer les uns au-dessus des autres. Qu’on ne s’y trompe pas, elle est très douée pour garder le lecteur captif, de quoi lui remuer les tripes de peu, néanmoins juste ce qu’il faut, afin qu’il se demande ce qui se passera la semaine prochaine. Mais quand on voit à travers le procédé, on finit par remarquer que le manga n’est plus que ça ; des effets de manche manipulatoires pour couillonner le lecteur avec, entre deux fins de chapitres, des gesticulations où Kasane cuve ses émois et se complaît en divers déchirements éthiques qui, à force et, bien assez tôt, ont fait le tour de ce qu’il y avait à aborder.


Elle en a des malheurs cette petite dame à s’enorgueillir d’une beauté qui n’est pas la sienne. J’admets que la thématique est intéressante et qu’elle sera naturellement exploitée ce qu’il faut… mais tout ça pour le théâtre. Daruma Matsuura, en créant Kasane, aura repris dans le mythe Kasane tiré du folklore nippon, en le mêlant à une dose de cendrillon pour laisser cuire le tout dans le monde contemporain. De là, elle aura su tirer son épingle du jeu pour broder en conséquence sans trop de temps mort, mais que d’agitations vaines et stériles, que de cris désespérés proférés pour la seule finalité de mieux habiller les oripeaux du drame tout du long.


D’autant que les dessins n’aident pas tout particulièrement à rentrer dans l’œuvre. Entre les grimaces exacerbées et un dessin qui… disons-le, rappelle même My Hero Academia pour ce qui est du character design des personnages – la touche féminine y étant difficilement perceptible. Les plus sensibles me diront que je suis passé quelque chose de grandiose, en philistin accompli, je prétendrai que j’ai pourtant marché en plein dedans et que c’est précisément pour cela que j’en retire tant de reproches ma lecture accomplie.

L’auteur aura essayé quelque choses un poil innovant avec son œuvre, je l’admets. Cependant, l’innovation – d’autant qu’elle est bien modérée – quand elle s’est employée à aucun but précis, fait qu’on s’en détourne très volontiers du fait qu’on n’en ait simplement pas l’usage.

Josselin-B
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le 20 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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