Certes, lorsqu'on s'aventure dans sur terrain devant lequel figure la pancarte «Champ de mines», on ne se plaint pas de finir amputé des deux jambes. Ce serait malvenu de ma part que de pleurer sur ce que je viens de lire alors que je me doutais pertinemment de ce que j'allais découvrir (bien qu'il n'y ait pas eu grand chose de couvert en premier lieu).
Anecdote concernant la Génèse du manga, Go Nagai s'était présenté à son éditeur avec l'idée de Kekko Kamen (et quelle idée...) pour lui faire une blague. L'éditeur a toutefois estimé qu'il était de bon goût de publier un manga où une héroïne à poil tabasse des vicelards avec un nunchaku dans un magazine pour jeunes. Faut pas leur faire des blagues aux éditeurs de la Shueisha, c'est dangereux.
Oui. Une héroïne à poil. Dans un manga destiné à un public particulièrement jeune. Je ne vous dirai pas que son attaque spéciale consiste à ouvrir les cuisses en grand et d'éblouir ses adversaires avec son minou, j'ai encore un peu de mal à m'en remettre psychiquement. Puisqu'il s'agissait d'une blague à l'origine, il ne faut rien espérer de plus de cet ovni bourré de nibards. Le scénario (on va appeler ça comme ça) est simple. Un ou une élève de l'institut Sparte est puni par les élèves et Kekko Kamen surgit pour mettre une dérouillée aux professeurs. Neuf fois sur dix, l'élève en question se trouve être Takahashi, une jeune fille qui a probablement avalé un aimant à emmerdes.
Tantôt menacée d'être disséquée (à poil) ou transformée en tableau humain où l'on écrirait sur elle au couteau (tandis qu'elle est à poil, bien sûr), on se demande pourquoi elle s'obstine à faire ses études dans un institut où des enseignants mâles libidineux trouvent toujours un prétexte pour la dévêtir, lui palper les nibards et, accessoirement, de manquer de la tuer de manière scabreuse.. Oui. Un manga où des élèves de seize ans se font dénuder et tripoter par des adultes. On aura beau m'objecter le déphasage culturel, la nécessité de remettre l'œuvre dans son contexte, je répondrai qu'il y a des limites au foutage de gueule et à l'indécence. Les années hippies, merci bien, mais on fera sans.
Je trouvais toujours un prétexte pour me plaindre de l'exigence éditoriale étriquée de la Shueisha qui ne donnait pas sa chance à des souffles nouveaux, préférant tabler sur des valeurs sûres du Shônen archétypique et sans saveur. Mais lorsque j'observe à quel point ils furent ouverts à certaines dingueries en d'autres temps, j'en viens à me demander duquel des deux maux est le moindre. Un juste milieu en la matière est préférable. De l'originalité sans atteinte aux mœurs, ça, je serais preneur.
Go Nagai est paraît-il le pionnier du genre ecchi. Peut-être n'y a-t-il pas là de quoi pavoiser ou se vanter. Non. Pas peut-être ; assurément. Ces débordements lubriques dont on dit aujourd'hui qu'ils sont une marque de fabrique du Shônen font mauvaise presse au genre. Qu'on me donne une seule raison de considérer comme acceptable cette tendance excessive à l'obscénité (même édulcorée). L'impertinence ? Choquer ? La subversion ? Dans un monde où il faut aujourd'hui des nichons pour vendre des yaourts ? À d'autres. Pour l'humour ? Si tant est que ça ait été amusant à un moment donné, tout ce qui a pu s'écrire et se dessiner sur le sujet a déjà été abordé par cent fois au moins. Pour gagner en maturité ? Y'a-t-il plus immature dans le genre, je vous le demande...
Kekko Kamen comme un One Shot d'une cinquantaine de pages : j'aurais moins toussé. L'idée partait d'une blague après tout : la parodie d'une série de l'époque Gekkô Kamen. Une blague, et surtout aussi grivoise, ça ne gagne pas à être étirée sur cinq volumes. D'autant plus que toutes les histoires sont les mêmes recyclées en boucle.
Je dis «merde» à Saint Nagai. Lui qu'on érige comme le père d'une révolution du genre Shônen. Je lui accorderai un talent indéniable dans la création de son Devilman, mais, ce chef d'œuvre de l'époque mis de côté, avec ses histoires de robots géants, de lycéennes à poil et d'innombrables séries chiantes dérivées de ses mangas ayant eu du succès, on ne peut pas dire qu'elle soit franchement flamboyante et audacieuse, sa révolution. De là à dire qu'il a cherché à tâtons pour voir ce qui fonctionnait et avoir du succès en conséquence, il n'y a qu'un pas.
Kekko Kamen, c'était graveleux, c'était peu ambitieux, sans imagination et ça m'a conforté dans l'idée qu'au final, son auteur n'était le concepteur que d'un seul succès mérité : Devilman. Introduire du gore et du cul à une époque où il n'y en avait pas ou très peu n'est pas un mérite en soi, surtout à une époque dite de «libération des mœurs» que furent les sinistres années de la décennie 1970.