Kick-Ass 2 : Intégrale par AntoineRA
Qui l'eut cru ? Le film Kick-Ass fut une vraie réussite, à la fois commerciale et critique, malgré ses quelques défauts. Il n'en fallait pas moins pour conforter Millar dans son idée et poursuivre plus sereinement les aventures de Kick-Ass, tout en y apportant quelques modifications pour mieux s'accorder aux retours des spectateurs face au film. Car les deux médiums avaient beau être développés en même temps, certains évènements, certes mineurs, ont pris des directions différentes.
Millar atténue donc quelque peu les relations entre Dave et Katie, qui avaient fini ensemble au cinéma, et intègre Marcus en tant que beau-père de Mindy (Hit-Girl). Globalement, ce deuxième arc reprend là où le premier s'était arrêté, avec quelques mois d'écart. Le meurtre de Genovese et ses sbires ne semble pas avoir fait de vagues, et le phénomène "super-héros" a pris une ampleur considérable ; de nombreux individus costumés se baladant dans les rues de New-York. Kick-Ass est vu comme une figure phare du mouvement, acclamé et respecté, et ce jusqu'à ce qu'un certain Doctor Gravity l'invite à rejoindre une équipe de "super-héros" : la Justice Forever. Une aubaine pour Dave qui n'a ainsi plus le sentiment d'être seul, peut partager ses gloires et ambitions, et prend cela à cœur plus que tout. Sauf que, si le premier volet n'avait pas de vilain emblématique (Genovese n'était qu'un mafieux), ce deuxième arc continue d'être pensé comme un comic book de vrais super-héros et fait apparaître de vrais méchants. Si des gens peuvent se réunir et se costumer pour faire le bien, pourquoi des bandits ne le pourraient-ils pas pour faire le mal ? Surtout s'ils sont menés par le psychopathe qu'est devenu Chris Genovese, qui n'a soif que de vengeance et qui a perdu toute notion de la réalité. C'est donc l'évènement majeur de ce Kick-Ass 2, où Dave va se retrouver confronter à The Motherfucker et sa bande de dangereux criminels : les Toxic Mega-Cunts.
De là, la franchise qui gardait tout de même une tournure assez légère, malgré ses quelques massacres bien sanglants, va complètement basculer dans une optique beaucoup plus sombre, voire totalement malsaine. Entre viols, meurtres d'enfants, décapitation de masse, et résistance sauvage envers les policiers, la ville de New-York bascule dans un état d'alerte général et organise la "battue des masques". Sur ce point, on peut en quelques sortes retrouver un thème cher à Millar puisqu'il partage des similitudes avec l'évènement Civil War de l'univers Marvel. En effet, qu'ils soient méchants ou gentils, tous ces héros costumés sont traités de la même manière, et vus d'un très mauvais œil par les forces de l'ordre. C'est ainsi que Dave va être confronté aux conséquences de ses actes en tant que Kick-Ass. Lui qui avait revêtu le costume pour assouvir un fantasme, et cherchant avant tout à s'amuser, a finalement déclenché quelque chose de bien plus incontrôlable et pervers. D'ados rêveurs, on passe alors à des évènements de plus en plus tragiques, à l'ampleur de plus en plus grande, et qui amènent une conclusion terriblement noire.
Et ce, en dépit de l'humour que Millar insère à droite et à gauche, toujours très judicieusement, et certainement là où on l'attend le moins (le face à face Kick-Ass/The Motherfucker). Pareillement, il parsème toujours son histoire et ses dialogues de délicieuses références constantes aux super-héros et à la culture populaire. On retiendra surtout celle - magique - sur Rihanna, celle sur Heath Ledger, ainsi qu'une assez mythique sur les Vengeurs. Des petites répliques qui viennent donc agrémenter les pages, avec quelques pointes d'humour décapantes. Néanmoins, vis-à-vis de la tournure catastrophique que prennent les évènements, tous ces petits gags apparaissent très amoindris comparés au premier livre. Tout comme les répliques cinglantes d'Hit-Girl qui se comptent désormais sur les doigts d'une main. Disons aussi que la jeune fille n'est pas très présente au cours du récit, là où le premier volet la mettait à l'honneur sur une bonne moitié. Dans les toutes premières pages, elle promet en effet de raccrocher le costume et vivre une enfance ordinaire, histoire de rassurer et protéger sa mère. Et puis, son beau-père Marcus veille au grain. Pour le coup, ça ne fait que rendre son retour plus valeureux, piquant finalement - et encore un fois - la vedette à celui qui donne son patronyme à la franchise.
Un résultat assez dommage mais prévisible puisque les personnages ne sont clairement pas très développés et se contentent d'être placés au fur et à mesure des scènes sans faire sensation. On a du mal à croire que Kick-Ass est le vrai héros de ce comics car, s'il apparaît cool dans les premières pages et qu'on pense enfin avoir une aventure emblématique en son nom, il devient de plus en plus fade au fil de l'histoire tant la personnalité de Dave Lizewski n'est qu'effleurée. À vrai dire, on porte bien plus d'intérêt à l'équipe de vilains et leurs actions qu'à chercher à connaître les protagonistes. Car, pareillement au premier arc, tout s'enchaîne trop rapidement, chaque numéro semble proposer un nouvel acte qui se termine en cliffhanger, l'action est fournie, et les gros évènements surviennent alors qu'on a l'impression qu'ils n'ont pas eu le temps d'êtres développés. Qui plus est, à l'image du premier film, c'est cette fois-ci au comics de partir dans des situations saugrenues, presque improbables, juste pour le plaisir de rendre l'ensemble plus épique. Si le carcan du comic book aide à faire passer tout cela, cette surenchère semble néanmoins voler la place du récit et s'éloigner clairement de la base de Kick-Ass. Il faut surtout attendre le dernier numéro, très différent des précédents en enfonçant le clou du pessimisme (on pense à The Dark Knight) et amenant une réflexion plus psychologique, pour réellement accorder de l'importance aux personnages et croire en leurs convictions. Car, hormis des bains de sang et de tripes, c'est clairement ce qu'on attend depuis le début.
Encore un fois, on félicitera John Romita, Jr. pour son coup de crayon exemplaire. Exemplaire, mais pas toujours très assidu. Ainsi, certaines scènes apparaissent moins travaillées, avec des visages traités grossièrement, et surtout caricaturaux lorsqu'ils sont tuméfiés. Étrangement, j'ai eu plus de mal à accrocher au début, parce qu'il y a quelque fois ce style plus 3D qui pointe, et n'est pas fantastique. Sans cela, on retrouve toujours beaucoup de détails dans ses scènes, et des plans efficaces et bien représentatifs. Les cases larges et double pages sont un régal (surtout sur les derniers numéros avec des scènes dantesques), et les phases d'action sont bien illustrées et compréhensibles. Mais un des vrais talents, c'est aussi le coloriste Dean White qui montre alors une patte plus homogène, donnant un rendu de tableau à de nombreuses cases. Ça se sent dès le départ, notamment avec cette séquence où Kick-Ass se détache clairement d'une foule terne, comme si c'était sa vraie raison de vivre. Même les scènes mondaines, quotidiennes, apparaissent plus soignées. Et le finale sur Time Square (on en revient encore à ce septième numéro excellent) est juste superbe, pétillant de couleurs sur des teintes uniformes dégradées. On remarque à peine le changement de coloriste sur le sixième numéro, à part dans son emploi de couleurs bien moins vives. Et puis, plus que jamais sur ce deuxième arc, il y a pléthore (trop) d'éléments gores représentés de toutes les façons imaginables, qui destinent clairement le comics à un public mature.
Millar signe donc ici un deuxième volet d'une trilogie annoncée, sans compter le spin-off reliant les évènements entre Kick-Ass et Kick-Ass 2 qui sortira très prochainement. Un spin-off qui va permettre d'approfondir l'histoire, et il y en a bien besoin. Car si la qualité reste constante d'un volume à l'autre, on n'aurait clairement pas boudé un numéro supplémentaire pour aérer l'intrigue et souffler entre les évènements qui, finalement, s'enchaînent sans qu'on ait le temps de les apprécier ou d'y réfléchir. Bien entendu, c'est sûrement voulu, et ça entraine une montée progressive dans la violence qui culmine lors du finale superbement illustré, mais c'est une hâte qui se ressent et ne nous permet même pas de nous attacher aux personnages. Kick-Ass 2 adopte également un virage dans le ton de la franchise, orientant les protagonistes dans une phase très sombre. Je suis bien curieux de voir à quel point le sadisme de Millar peut les rabaisser davantage. Ce qui est sûr c'est que l'aspect fun et déjanté a clairement laissé place à une réalité crue.