Kililana Song, tome 1
7.9
Kililana Song, tome 1

BD franco-belge de Benjamin Flao (2012)

Si l’Afrique m’était racontée…

Comme une invitation au songe. Comme un époustouflant voyage des sens. Au pouls d’un chant noir, qui, dès les premières figurations, me ferait basculer, entrevoir les traditions colorées de l’oralité, pittoresque. En hardi citoyen du monde, me laisser happer, porté par le vent revigorant de la mutinerie dans la galopade d’un gamin de Lamu, puis poussé, chahuté, échevelé par les brises irrésistibles d’un conte moderne où chaque rafale, charriant les mots, les personnages nombreux, les images, nourrirait le tourbillon d’une force narrative qui emporte tout sur son passage, parfois jusqu’à me couper le souffle…

Quelque sagesse swahilie promettrait : ce n’est pas la main, mais le cœur qui donne. Benjamin Flao ne lui ment pas. C’est bien une touche d’âme qui affleure dans chacune de ses aquarelles étourdissantes. Tant de présents pour les yeux, nés au bout de doigts exécutant le vibrato saisissant du vivant. Une humanité sans doute ramenée dans son sac à dos. Éloquente, radotante, elle hurle à pleins pinceaux des figures étrangères dont je reconnais, ici, une moue familière, là, un sourire ou une rogne fluente de sincérité. De la vie, authentique, universelle, restituée dans le mouvement et la chaleur de ses scènes, entre vadrouille et spiritualité, célébrée par les effusions opalescentes d’un chromatisme impétueux où le chaud embrasse le froid, où le fantasme embrase le réel.

Malgré mon ardeur pour les tenir en respect, quelques jurons intérieurs s’échapperont au hasard d’une case, au détour d’une peinture plus passionnée. Exclamations arrachées par les évidences de cet esthétisme intense qui joue avec mes entrailles. En tous sens. Depuis l’empathie fulgurante d’un baiser dérobé saupoudrant la tendresse ou le tableau, emprunté à l’obscurité, d’une étreinte charnelle fugace qui, en un croche-patte habile à cette volupté trop facile, bouscule l’émotion, puis me mue en voyeur involontaire, un peu gêné d’être ici. Dans le courroux pétulant d’un marinier au langage de charretier, convaincant, légitime à en serrer les poings pour m’inviter dans sa bigorne. Devant la beauté symbolique d’un arbre sacré ou l’expression de la puissance des éléments, au coeur d’échappées sous-marines envoûtantes, quand je me surprends à retenir ma respiration. Parmi des tapisseries superstitieuses, irréelles, où, vagabond ébahi, je touche la légende et ses icônes inquiétantes. Jusqu’aux quatre cents coups d’une bande de gosses malicieux et leurs appels du pied appuyés : spectateur, comparse, complice grisé, je prends mes jambes à mon cou pour rattraper la flamme de l’aventure…

Hors champ, contre champ, contre-jour. Plan reculé ou angle intimiste. Oeil aérien. Perspectives imprudentes. Horizon éthéré et regard plus paisible : au fil des cabrioles je déambule, dans la mise en scène admirable, sur les mesures inspirantes d’une narration gigogne qui distribue les rôles à pleines mains, autour d’un héros irrésistible. Naïm bien sûr. Sauvageon libre, intenable dans le zèle à esquiver l’école coranique et ses coups de bâton pédagogiques. Les hasards de ses escapades croiseront la philosophie aux zestes de qat du vieux Nacuda, esgourderont les grossièretés routinières du trivial Günter, un capitaine margoulin affreusement mal léché, attirant curieusement la sympathie, et achèveront son apprentissage dans les visions désincarnées d’un chaman animiste ou celles, plus prosaïques, esquissées dans les formes, les charmes de demoiselles adorablement vénales. Un carnet de route serpentant entre appétits néo-colonialistes et ascensions djihadistes, une traversée initiatique à hauteur d’enfant qui se perd les crayons dans les tentacules d’un imaginaire magnifiquement halluciné.

Le boudeur (scrogneugneu !) blâmera des tempéraments marqués, effleurant la caricature dans le verbiage ou le contexte, accablera une trame jugée dilettante. Ces chouias d’exubérance, dans la manière et la matière, je les suppose comme le remarquable écho à la singularité d’un continent qui abandonne dans la marge ses réalités les plus préoccupantes pour mieux réveiller, révéler toute sa magie. Au moins pour un instant.

Mais quiconque osera le reproche aura affaire à moi !

… Immense.


* critique portant sur la série complète
Sejy
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Créée

le 10 mars 2014

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Sejy

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