Il faut se rendre à l’évidence, vous n’êtes pas certain d’avoir bien compris ce qu’il se passe aux confins de la Turquie, de la Syrie et de l'Irak. Encore moins ce qu'y font l'Etat islamique, le PKK et les YPG. Si vous séchez complètement et que la lecture du Monde diplomatique vous semble beaucoup trop fastidieuse, lisez Kobane Calling. Sorti au printemps dernier en Italie et propulsé immédiatement en tête du classement des ventes de livres (une première pour une BD dans le pays), ce roman graphique signé Zerocalcare, star de la BD italienne, devrait enfin imposer ce jeune auteur en France tout en contribuant à améliorer grandement vos connaissances en géopolitique.
Greffé à un groupe de militants aux ambitions humanitaires, Zerocalcare se rend dans le Rojava (le Kurdistan syrien), une zone autonome contrôlée par les milices kurdes et assiégée par l’Etat islamique. Dans cette bande de quelques kilomètres carrés, des hommes et des femmes tentent de fonder une société basée sur des principes d’égalité et de démocratie où sont expérimentées la cohabitation ethnique et religieuse et l’émancipation des femmes. Une véritable utopie dans cette région du globe plombée par les conflits.
Jusqu'ici plutôt habitué à disserter sur Rebibbia – son quartier de Rome devenu le point d'ancrage de ses aventures autobiographiques –, Michele Reich alias Zerocalcare adopte avec Kobane Calling une démarche journalistique. Cherchant à comprendre comme fonctionne le Rojava, il va enquêter, à sa manière, et avec ce ton si singulier qui caractérise ses précédents albums, pour vérifier que cette enclave idéalisée n'est pas "juste un grand bluff".
Avec beaucoup de pédagogie, de sincérité et un soupçon de naïveté, Zerocalcare rapporte de son premier voyage à la frontière turco-syrienne une quarantaine de pages qui seront publiées dans L'Internazionale (le Courrier International italien) en 2015. Il approfondira son expérience par un séjour au sein même du Rojava qui donnera naissance à ce carnet graphique de 288 pages, précieux témoignage sur une zone complexe où peu osent s’aventurer. Il y décrit son périple avec son regard de jeune trentenaire, ses rencontres avec des combattants engagés dans une lutte armée pour une vie meilleure. Le sujet est éminemment grave et complexe, mais le talent de Zerocalcare est de parvenir à nous le raconter avec suffisamment d’humour, de second degré et d'humanité.
Critique publiée sur le blog Pop Up'.