Chronique illustrée de pas mal d'extraits sur : http://branchesculture.com/2017/06/12/art-du-neuvieme-art-emmanuel-reuze-parodie-mimetisme-humour/
Coco, cocotte, tu pensais tout savoir sur la bande dessinée depuis les célèbres romans graphiques et documentaires de Scott McCloud. Tssssss, minute papillon. Parce que l'art n'a rien d'invisible, le cousin de Scott, Scott McCrawd, s'associe à l'excellent Emmanuel Reuzé pour visiter la partie moins visible de l'iceberg et explorer les sujets qui fâchent au pays des phylactères. D'un Tintin la tchole à l'air en passant par l'anatomie des héros et un concours de dessin en apnée opposant Trondheim et Sfar. Sans oublier de parler en long et en large de tous ceux qui font du mal à la BD.
Résumé de l'éditeur : L'Art du 9e Art est l'ouvrage de référence pour apprendre tout ce qu'il faut savoir (ou pas) sur la bande dessinée : dessiner avec un Boeing, réaliser une BD en apnée comme Joann Sfar, étudier l'anatomie de Gros Dégueulasse de Reiser ou réussir une BD autobiographique de fille. Tous les libraires BD connaissent le fameux livre L'Art de la BD de Duc ainsi que les best-sellers de Scott McCloud. Autant d'opuscules insignifiants comparés à l'ambitieux L'Art du 9e Art de l'immense Reuzé !
Mine de rien, Emmanuel Reuzé a bien creusé son sillon, au-delà des chemins faciles et balisés. Si bien qu'après quinze années d'une bibliographie intéressante à plus d'un titre et toujours en quête de nouveautés, Reuzé est toujours imprévisible. Et l'arrivée de l'auteur chez Fluide Glacial semble lui avoir donné des ailes et des envies de creuser sa veine corrosive et un cynisme appréciable. Avec de l'esprit... du mauvais esprit.
Et quand le défi s'est matérialisé dans une parole de Scott (ersatz bedonnant et alcoolisé, pavé de mauvaises intentions, de l'autre Scott), "De qui pourrait-on dire du mal?", Reuzé ne s'est pas fait prier pour livrer une bible de 130 pages qui oublie en chemin le pompeux si souvent à l'oeuvre dans de telles entreprises. Non ici, le B de Bible est aussi celui de Blague et Reuzé nous fait naviguer à vue mais aussi à l'aventure dans l'Histoire de la Bande dessinée des temps anciens à nos jours, de la tapisserie de Bagieu au Lookbook de Salch.
Fort d'une connaissance impeccable (dans l'art du foutage de gueule, surtout), Reuzé se fait ainsi caméléon pour choper les styles de divers auteurs, se les approprier et les amener là où on ne les attendait pas. Un cocasse pastiche qui ne fera pourtant pas se retourner les auteurs dans leurs tombes tant Reuzé met dans cet exercice de style la passion et le plus grand des respects. C'est un travail de dingue auquel s'est adonné l'auteur qui ferait rougir de jalousie les maudits marchands qui tentent de vendre sur Ebay ou 2ème main des faux Hergé ou Uderzo à la pelle et en toute vulgarité. Ici, c'est du travail d'orfèvre qui prouve que Reuzé pourrait reprendre Corto Maltese comme Pif et Hercule (mis à contribution dans une leçon tripante variant sur "comment faire une critique de BD totalement vide de sens") ou encore Blake et Mortimer. Sans compter qu'il n'a pas son pareil pour s'immiscer dans le monde des blogs... autobiographiques.
Mais l'usage de tous ses héros classiques n'a rien de gratuit et sert à propulser les chapitres concoctés par Reuzé et... McCrawd. Des chapitres qui mettent tout le monde à contribution (plus loin que Jean-Luc Coudray, Vincent Haudiquet, Pascal Fioretto venus en renfort sur certaines parties) et égratignent... tout le monde. Des lecteurs aux chroniques, des méchants aux gentils et des éditeurs aux auteurs qu'ils soient jeunes ou vieux, en manque d'inspiration et en mode "recyclage" (et donc populaires) ou dans une démarche plus auteuriste (et donc moins populaire). Au-delà des raccourcis faussement innocents, L'art du Neuvième Art est comme la bière, se déguste avec sagesse tout en sachant ne pas se prendre toujours au sérieux.
Pourtant, dans cet album, rien n'est anodin et tout nous ramène à ce monde en mutation qu'est la bande dessinée en 2017, entre les succès faciles et d'autres plus fragile, sans oublier les projets ambitieux et pourtant refusés. Entre ceux qui en vivent et ceux qui en crèvent. Et en conservateur totalement impliqué de son musée de la BD qui n'appartient qu'à lui, Reuzé fait éclater un peu plus son talent, impertinent et pourtant tellement pertinent.