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Qu'est-ce que l'art contemporain et qu'est-ce qui le différencie de l'art moderne ? Comment fonctionne-t-il ? Comment les artistes gagnent-ils leur vie ? Quel rapport avec la sociologie ? Les...
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le 22 oct. 2016
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BD franco-belge de Nathalie Heinich et Benoît Feroumont (2016)
Pour ce neuvième volume, l’excellente collection de BD documentaire La Bédéthèque des savoirs s’intéresse à la figure de l’artiste contemporain. La démarche est intéressante : plutôt que de parler de l’Art contemporain, décrié et mal compris, ce sont les hommes aux pinceaux ou autres outils qui seront le sujet.
La préface de David Vandermeulen le précise bien d’ailleurs, la société se méfie de la nouvelle forme de cet nouvel art. En prenant l’exemple pas si anodin d’épisodes de Colombo, le divorce semble consommé depuis quelques années. Quel film récent a traité avec respect de l’art contemporain ? Même les érudits montrent les dents : cela a donné la bien nommée « querelle de l’art contemporain » en 1991, toujours vivace de nos jours. Où, en résumant, l’apologie de l’art contemporain par les institutions publiques et les collectionneurs mène à un épuisement créatif des possibilités créatives et sociologiques de l’art.
Notons tout de même que c’est un thème récurrent des querelles artistiques, l’Art étant un milieu où les nouvelles vagues ont souvent critiqué les vieux croûtons qui les précédaient.
Nathalie Heinich a publié plusieurs livres sur cette question et sur l’art contemporain en général. Elle est donc l’une des mieux placées pour en parler de façon calme et posée, bien qu’on puisse la classer dans le rang des partisans. C’est elle l’intellectuelle invitée dans cette bande dessinée documentaire qui forme donc le texte et le fonds de l’ouvrage, mais qui est aussi présente dans la bande dessinée sous la forme d’une conférencière, commentant le livre.
Il ne s’agit pourtant pas d’une conférence au sens propre, car les propos de Nathalie Heimlich vont en fait servir à commenter la vie de trois aspirants artistes sur le long cours, des débuts hasardeux dans une école des Beaux-Arts en Province jusqu’à des jours meilleurs, dans des directions différentes.
Ces trois amis sont esquissés avec quelques traits de personnalité et un peu de contexte, mais l’essentiel est bien les fonctions qu’ils vont endosser. Anatole est le peintre, une discipline classique, moins estimée, qui complétera son travail par celui de professeur. Jules est un artiste contemporain, plus à l’aise dans les installations, mais qui ne rencontrera pas un grand succès, en dehors de quelques commandes pour des institutions ou des travaux collaboratifs. Et enfin Edmond qui lui sera l’artiste contemporain à succès, invité dans les foires internationales, avec des expositions à son nom.
Ces trois portraits permettent de mieux comprendre les différentes facettes de l’artiste contemporain. Nathalie Heimlich le distingue de l’artiste moderne (fin XIXe à la première moitié du XXe siècle), même si on peut tiquer dessus, pour mieux mettre en valeur ses spécificités. Il y a bien sur ses possibilités créatrices, plus vastes, par la peinture, les installations, les performances, la vidéo, etc. Sa reconnaissance aussi a changé.
Pour la sociologue, l’analyse de l’oeuvre doit passer maintenant par un tiers, pour mieux l’expliquer. Certains défenseurs de l’appréciation de l’oeuvre sans intermédiaire, de l’art au spectateur, pourraient tiquer. Car l’art contemporain s’apprécie aussi pour le discours qu’on peut lui offrir, sans explication officielle. Même si certains ont parfois la « bonne » analyse à proposer. Et cela a toujours existé. D’autant que pour revenir sur la compréhension d’une œuvre, celles des siècles précédents utilisaient des codes et des symboles, dont les clés étaient tout aussi importantes que la beauté du geste et de l’œuvre. Étudier et comprendre une création artistique est donc toujours fascinant, mais l’une des différences majeures entre aujourd’hui et maintenant serait donc le commentaire intermédiaire et explicatif.
Mais Nathalie Heinich a raison sur l’importance du tiers, pas seulement en tant que vecteur du commentaire, puisqu’il se décline partout, dans les musées, les institutions publiques d’achats, les galeries, les foires, les biennales ou les résidences. Il y a une véritable compétition entre les curateurs pour trouver « l’artiste » de demain, pour mieux s’en enorgueillir. Mais la concurrence est rude, certains débutants restent sur la touche, faute d’avoir réussi à entrer dans le cercle vaste mais pas si ouvert de l’art contemporain. Les œuvres qui se revendent à des millions sont médiatisées car elles sont relayées par les médias, mais ne reflètent pas la santé d’un marché vivace mais difficile à pénétrer, où les artistes les moins (re)connus peinent à en vivre. Et elles ne devraient pas faire oublier qu’il y a toujours eu dans l’art des œuvres qui s’échangeaient très chers entre musées, galeries ou collectionneurs privés. Acheter de l’Art a toujours eu un cout, que certains acheteurs ou revendeurs ont parfois profit à médiatiser (et pour certains pour mieux revendre après).
D’ailleurs, et c’est l’un des points de la « querelle de l’art contemporain », c’est aussi la recherche de l’avant-(avant-avant-etc.)-avant garde qui entraîne aussi des problèmes de confusion. Pour ne pas paraître daté, l’État soutient la création artistique, c’est une bonne chose, mais de ce fait institutionnalise aussi un art qui se voulait moderne et parfois même transgressif. Chercher la prochaine perle lui fait parfois perdre de son éclat.
Si l’art contemporain est donc un ensemble de possibilités, pour s’exprimer ou se faire connaître, la reconnaissance et même sa rémunération ne sont pas si faciles à obtenir. L’ouvrage se termine d’ailleurs par cette belle réflexion de Nathalie Heinich, que les effets de mode sont une chose, mais qu’il faudra tout de même travailler dur pour être reconnu comme un artiste contemporain et même s’assurer de sa postérité, impossible à prévoir.
Le texte permet donc d’atténuer les clichés autour de la figure de l’artiste contemporain. Mais il offre aussi une certaine bienveillance sur ce petit monde qui va bien avec le trait de Benoît Feroumont, l’artiste invité de ce volume. Venant du monde du dessin animé, le dessinateur a une patte et un humour déjà appréciés dans Le Royaume, excellente série de bandes dessinées jeunesse (mais pas que, car je vous la recommande chaleureusement. Il sait rendre avec une belle simplicité les émotions de ses personnages, son trio d’artistes contemporains, sa représentation de Nathalie Heinich mais aussi lui-même, qui intervient parfois pour demander des précisions à la conférencière.
Le choix de suivre ces amis sur le long cours offre une petite touche d’humanité sympathique, le sujet est centré autour d’eux. Il n’y a quasiment pas de noms d’artistes cités, ni même d’oeuvres emblématiques présentées. Ce sont bien les événements dans la vie de ce trio et les interventions de Nathalie Heinich qui feront avancer la connaissance du sujet. L’intention semble donc de proposer un ouvrage vraiment accessible, ce qui est un des objectifs de la collection, et elle est remplie. L’ouvrage permet donc de définir un peu mieux dans certains esprits mal informés de la réalité de l’artiste contemporain.
Comme chaque volume, celui-ci se termine par une liste de suggestions de l’intellectuel et du dessinateur conviés. Mais je vais aussi élargir en proposant des noms d’artistes contemporains que j’ai pu découvrir et apprécier, notamment grâce à la Chapelle d’art contemporain de Thonon-les-Bains, que je salue pour certaines expositions. Si vous voyez passer Jochen Gerner et son dessin fin et méticuleux (dessinateur aussi, a illustré Le minimalisme pour la bédéthèque des savoirs, le monde est petit), les anamorphoses de Georges Rousse, les étranges peintures d’Iris Levasseur, les installations envahissantes d’Anne-Laure Sacriste, les surprenantes installations en vaisselle de Régis Perray, les vidéos agglomérées d’Hicham Berrada, les peintures hachées de Duncan Wylie, celles surréalistes de Karine Rougier ou celles lumineuses et colorées de Marion Charlet, n’hésitez pas à aller pousser les portes des espaces où ils sont conviés. Et même de vous laisser à la découverte d’autres artistes contemporains, loin des fantasmes et des idées reçues.
La Petite Critiquothèque de La Petite Bédéthèque des savoirs :
- Volume 1 : L'Intelligence artificielle par Marion Montaigne et Jean-Noël Lafargue
- Volume 5 : Le Droit d'auteur par Fabrice Neaud et Emmanuel Pierrat
- Volume 9 : L'Artiste contemporain par Benoît Feroumont et Nathalie Heinich
- Volume 11 Le Féminisme par Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu
- Volume 14 : Le Minimalisme par Christian Rosset et Jochen Gerner
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Créée
le 2 août 2022
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