L'Attaque des Titans. [Critique garantie sans spoiler]
Étrange produit hybride, croisement improbable de récit de guerre, de steampunk, de kaiju eiga, de culture germanique et de références à la mythologie grecque. Asie et Occident qui s'entrechoquent.
Comment ce manga ayant vu sa popularité exploser lors de la diffusion de son adaptation animée a-t-il pu donc gagner le cœur de tant de lecteurs et spectateurs ?


Parce que AdT ne démarrait pas sous les meilleurs offices. Si son univers post-apocalyptique et son ambiance steampunk lui donnaient une vraie identité, on pouvait craindre une œuvre de survie aux scènes horrifiques racoleuses et aux personnages unidimensionnels. Le dessin n'aidait d'ailleurs pas, car les premiers tomes ne brillaient pas particulièrement par les anatomies approximatives et les perspectives tordues.


Oui, mais Hajime Isayama. Hajime Isayama, mes amis.
L'homme qui s'est souvenu qu'étant enfant, il vivait dans un village cerné par les montagnes, et se demandait souvent ce qu'il pouvait se cacher derrière ces immenses murs de pierre, ou même s'il pourrait les atteindre un jour. D'un simple souvenir d'enfance, il a créé un véritable jeu de piste.
A l'image de leur auteur, les personnages de l'Attaque des Titans vont partir de leur village, avancer sur des chemins semés d'embuches et faire de plus en plus de découvertes sur le monde qui les entoure. Chaque révélation, chaque retournement de situation va étendre leur champ de perception en même temps que le notre.
Comme Isayama avant nous, nous traçons notre chemin à travers le manga, lorsque nous nous heurtons à un obstacle d'incompréhension, nous sortons notre équipement tri-dimensionnel et passons au dessus. Nous contemplons alors l'horizon des possibles, et nous n'avons plus qu'à continuer notre périple.


Le génie du scènario tient pour moi en trois facteurs-clé : D'une part l'emploi fréquent de révélations ou de twists. Si ceux-ci ponctuent régulièrement le récit, ils ne sont jamais gratuits et bien souvent redéfinissent complétement les enjeux de l'histoire (les fameuses montagnes que les personnages dépassent). Le moindre élément a son importance et même des détails anodins de début de série trouveront leur résonance une dizaine de tomes plus loin (Il est d'ailleurs assez amusant de relire le manga après en avoir lu 20 volumes, et de se rendre compte à quel point tous les retournements de situation ont été soigneusement préparés dès le début de l'histoire). Entre le tome 1 et le tome 25, nous sommes limite passés entre 3 séries différentes tant l'ambiance, la narration et les enjeux ont été bouleversés. Trois séries qui pourtant restent toutes cohérentes les unes avec les autres.
Et cette cohérence est assurée par la densité folle de AdT. Bien entendu, l'auteur nous abreuve d'informations passionnantes sur l'univers qu'il a créé, mais toujours avec parcimonie, pas avec d'énormes pavés d'explications qui occupent trois chapitres à la Hunter x Hunter. Mais il multiplie également les points de vue. D'abord ceux des personnages "gentils", puis lorsque le moment opportun sera venu ceux des "méchants". Les personnages qui à la base paraissaient unidimensionnels gagnent en personnalité et toute leur humanité nous est renvoyée au visage avec une incroyable puissance. Certains personnages qu'on s'imaginait bons se révèleront par instants de véritables ordures, et à l'inverses, certains que l'on imaginait des monstres deviendront véritablement touchants.


Cette multiplication des points de vue est au service du thème principal du manga : La Guerre. Isayama interroge le lecteur sur la violence des conflits, sur les raisons pour lesquels des peuples qui ne se sont jamais vus en viennent à s'entretuer pour des objectifs qui les dépassent complétement et pourquoi l'on donnerait sa vie pour des idéaux auxquels on ne comprend rien. Son constat est que la guerre n'a pas de raison d'être. Il n'y a pas de gentils, il n'y a pas de méchants. Tout n'est qu'absurdité kafkaïenne où chacun tente d'assurer sa survie en se raccrochant à quelque chose. Marx disait que la religion est l'opium du peuple, pas dans le sens trop répandu qu'elle endorme les masses et les garde dociles, mais plutôt dans celui qu'elle leur donne quelque chose pour tenir, un but à atteindre. Et c'est aussi ce que font les personnages : Devant le chaos du monde qui les entoure, chacun s'accroche à ses ambitions personnelles, ses proches, ses vices, ses addictions, et recherche à travers eux la force de continuer à avancer, quitte à laisser ces mêmes ambitions les dévorer à leur tour et les pousser à commettre les pires méfaits. Nous voyons alors des leaders pousser des armées entières au sacrifice ultime en invoquant mille et un prétextes plus ou moins nobles, mais ne cherchant en réalité qu'à atteindre leurs propres buts, quel qu'en soit le prix. Personne n'ayant lu L'Attaque des Titans ne peut oublier Erwin Smith.


Comme pour illustrer son point de vue, Isayama a choisi de faire des grandes batailles de son manga des affrontements de kaijus (de monstres géants japonais à la Godzilla). Des combats bruts, sans concession, où la moindre erreur est fatale et qui entrainent des scène de destructions titanesques, où la fragilité de l'enveloppe humaine n'a que peu de place. Face à tant de géants invincibles, que pouvons-nous faire, pauvres mortels que nous sommes ? Nous avons laissé des puissances supérieures se battre pour nous, ne nous étonnons pas quand elles finiront également par nous détruire.
Il va jusqu'à invoquer les références à la mythologie grecque, notamment à l'image célébrée par le tableau de Goya, "Cronos dévorant ses enfants". Le roi des titans dévorant sa progéniture, laquelle son tour cherchera à renverser son géniteur une fois secourue par leur frère Zeus. Car bien sûr, qui dit guerre dit héritage de la violence. Les péchés des pères devenant ceux des fils qui à leur tour transmettront leurs fautes à leur descendance, thème omniprésent de la mythologie grecque, et qui dans AdT prend un sens autant métaphorique que concret. Le cercle vicieux de la haine dont semblent prisonniers tous les personnages, et qu'illustre assez magnifiquement le court arc scénaristique des enfants soldats Gaby et Falco.


Je ne saurais dire si Isayama avait pensé absolument tout son scènario de A à Z avant même de démarrer le manga ou s'il a improvisé au fur et à mesure. M'est avis qu'il devait savoir quelles seraient les grandes lignes directrices de son œuvre, et qu'il a peaufiné les détails au cours du temps. Le terme est à mon sens un peu trop galvaudé, mais pour moi l'histoire de l'Attaque des Titans relève du génie. Tout simplement.


Même le dessin semble suivre les bouleversements du manga. S'il démarre comme on l'a dit avec beaucoup de défauts techniques, reflets d'un dessinateur-scénariste qui n'a pas encore trouvé ses marques, il devient petit à petit plus fin, avant de regagner en frénésie brute lors des grands affrontements, certaines pages abandonnent les détails et le beau, ce qui compte le plus c'est le mouvement et la sensation de puissance. Les visages des personnages sont incroyablement expressifs, faisant ressortir toute la puissance des émotions qu'ils ressentent.
Si comme beaucoup, vous avez été rebuté par les trois premiers tomes au trait inconstant, un conseil, accrochez-vous, ce serait dommage de passer à coté de la suite.


Faites comme Isayama et Eren après lui, passez la prochaine montagne, découvrez la richesse du monde qui s'offre à vous.
L'horizon des possibles est sans fin pour le voyageur insatiable.


(Et par pitié, arrêtez d'écrire une critique du manga après avoir lu juste 5 tomes. Ça ne marche pas comme ça. On ne prend réellement conscience de la portée de l’œuvre que sur le long terme.)

Arkeniax

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20
3

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