Remettons les choses dans leur contexte. En 2011, Shingeki no Kyojin n'était pas le phénomène qu'il allait devenir. Assez récent, le manga n'était pas encore publié dans de nombreux pays. Mais au Japon, parmi tous les fervents lecteurs de Hajime Isayama, il y en eut un qui fut inspiré.
C'est donc cette année-là que Ryō Suzukaze publia une trilogie intitulée Shingeki no Kyojin – Before the Fall. L'histoire commence 70 ans avant la chute du Mur Maria. On y suit les aventures de Kyklo, qui va essayer de se faire une place dans son monde en voulant combattre les titans. L'auteur en profite pour détailler l'élaboration du fameux dispositif de manœuvre tridimensionnelle et montrer la renaissance du bataillon d'exploration.
Deux ans plus tard, Shingeki no Kyojin devint le phénomène que l'on sait. Un mangaka du nom de Satoshi Shiki flaira le bon coup, et décida de surfer sur la vague en adaptant l’œuvre de Suzukaze : c'est ainsi que naît le manga Shingeki no Kyojin – Before the Fall, publié entre août 2013 et mars 2019 pour un total de 17 volumes.
Alors je ne connais pas tous les détails sur ce manga, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est loin d'avoir eu le succès de son ainé. Et il faut dire qu'à la lecture des premiers chapitres, il n'est pas simple d'accrocher. Ça commence de manière très bancale : toute l'histoire de la secte qui vénère les titans au point d'ouvrir la porte extérieure du district de Shiganshina pour en faire entrer un est vraiment tirée par les cheveux. Surtout que cette secte n'aura ensuite quasiment plus aucun impact dans l'histoire, et que ses motivations ne seront jamais expliquées.
J'ai trouvé les premiers chapitres vraiment moyens, que ce soit au niveau des personnages ou de ce que l'histoire propose. Et puis, il faut le dire, le manga souffre incontestablement de la comparaison avec l’œuvre d'Isayama. On a un peu l'impression de voir une mauvaise copie. Je pense aussi que Before the Fall a dû décevoir tous ceux qui s'attendaient à avoir des révélations.
En effet, au moment où le manga sort, un flou total persiste sur Shingeki no Kyojin. L'anime, qui est en train de se terminer, offre plus de questions que de réponses. Quant au manga, il vient tout juste de révéler l'identité de deux titans importants pour l'intrigue, mais le lecteur s'apercevra assez vite qu'il n'en apprendra pas davantage.
D'où, je pense, l'idée qui a dû germer que le manga de Shiki apporterait des réponses... La déception n'en fut que plus grande ! Parce que si vous voulez des révélations sur l'univers de Shingeki no Kyojin, vous n'apprendrez RIEN dans Before the Fall. Et ce n'est pas étonnant, au contraire !
Déjà parce qu'Isayama n'a absolument pas participé au projet, et qu'il a visiblement gardé pour lui tous les secrets de son œuvre. Quand il publie son roman en 2011, Suzukaze n'a pas l'intention d'expliquer les mystères de Shingeki no Kyojin, mais de proposer une autre histoire qui se passe dans le même monde, plusieurs décennies avant.
Je pense que cela explique en partie les opinions assez mitigées sur Before the Fall. À mon avis, beaucoup de lecteurs ont lâché l'affaire quand ils ont vu qu'ils n'apprendraient rien de nouveau. J'en veux pour preuve les statistiques du manga sur MAL : sur un peu plus de 23 000 personnes ayant une activité sur Before the Fall, seuls... 2 200 l'ont terminé, soit à peine 10%... et presque 1 900 l'ont abandonné ! Des chiffres pareils sur un manga sont rares, encore plus sur une franchise populaire.
Toute cette explication est peut-être un peu longue, mais je pense qu'elle est nécessaire pour la suite. Car pour moi, passer les premiers chapitres, Before the Fall décolle vraiment, et l'ayant terminé, je ne peux que dire que j'ai aimé.
Les personnages, que j'avais pris dans un premier temps pour des copies de ceux d'Isayama, vont se révéler être beaucoup plus intéressants que prévu. Kyklo n'est pas un Eren-bis, il partage avec lui sa détermination et sa fougue, mais c'est tout. Carla est radicalement différente de Mikasa, et on pourrait encore continuer avec les autres. L'histoire prend vraiment le temps de les développer, le lecteur ne peut que s'attacher à eux.
Au niveau des dessins, ça n'a pas été facile au début : c'est bien fait, mais ça tranche trop avec le style d'Isayama. C'est là où l'on se rend compte qu'il y a une vraie identité graphique de l'auteur de Shingeki no Kyojin. Mais on s'habitue quand même assez vite, et il n'y a pas grand-chose à reprocher : Satoshi Shiki est certes assez classique, mais il dessine très bien. Les titans sont plus détaillés, et les scènes d'action sont claires (rien de plus énervant que de la baston où l'on ne comprend pas ce qui se passe). Quelques problèmes sur certains gros plans quand même.
Et l'intrigue en elle-même ? Eh bien, comme je vous l'ai dit, si vous recherchez des explications, passez votre chemin. Par contre, si vous voulez une histoire dans l'univers de Shingeki no Kyojin, alors ce manga est fait pour vous. Il respire la passion de Suzukaze pour l’œuvre d'Isayama: on voyage littéralement entre les murs, en s'intéressant aux populations et aux lieux qui s'y trouvent (par exemple la ville souterraine, que j'ai trouvé plus développée ici que dans Birth of Levi).
Before the Fall est aussi très fidèle, très respectueux de l’œuvre originale, et globalement, on aura du mal à trouver une fausse note. Éventuellement, on peut reprocher le comportement des titans, qui m'a semblé un peu plus déviant (du genre à balancer des têtes par-dessus le Mur Maria). L'auteur se permet quand même quelques libertés (comme la cité industrielle).
Toute l'histoire autour du dispositif de manœuvre tridimensionnelle est très bien pensée, elle s'intègre parfaitement au parcours de Kyklo, qui va vouloir intégrer le bataillon d'exploration pour pouvoir combattre les titans.
Before the Fall est dans le même ton que le manga d'Isayama. Niveau violence graphique, je dirai même que ça va plus loin. Il faut imaginer qu'à cette époque, le bataillon d'exploration était très mal équipé (pas de dispositif, armement médiocre), et les rencontres avec les titans tournaient au massacre. Le manga se permet aussi de faire quelques clins d’œil à Shingeki no Kyojin, sans que cela soit lourd. Le final est bon, mais sent quand même trop le happy end. Du coup, on en viendrait presque à se demander comment le Mur Maria a pu tomber aussi facilement quelques décennies plus tard. Et en même temps, j'aurais bien aimé côtoyer cette galerie de personnages un peu plus longtemps.
L’œuvre de Suzukaze et de Shiki souffre incontestablement de la comparaison avec celle d'Isayama. Mais l'ambition n'est clairement pas la même. Je vois plus Before the Fall comme une histoire qui rend hommage à l'univers de Shingeki no Kyojin. Et ça mérite le détour.
NB : à l'origine, j'ai publié cette critique sur un autre site.