Que peut-on faire face aux forces de la nature ? C’est la question que se posent tous les récits de survie, où les séismes se succèdent aux raz-de-marée pour bouleverser à jamais la vie de ses personnages à qui il n’était rien arrivé d’extraordinaire jusque-là. On comprend parfaitement l’attrait que peut avoir pareil récit, car l’identification est immédiate : cela pourrait arriver à n’importe qui. Et les questions que cela soulève passionnent : combien de temps la morale d’un individu tiendra-elle face à son instinct de survie ? L’auteur Jean-Christophe Chauzy y répond dans sa dernière publication en mars 2015 : « Le Reste du monde ».
Scénario : A quelques jours de la rentrée, une mère de famille quarantenaire et prof’ de collège profite de ses derniers moments de liberté, dans un chalet pyrénéens, après y être restée tout le mois d’août avec ses deux enfants. Ces derniers dorment chez des amis, plus bas dans la vallée, et leur père « s’envoie en l’air avec sa pute » à la capitale. C’est avec une certaine amertume qu’elle fait les derniers préparatifs du départ, lorsque gronde l’orage… D’un réalisme cru et parfois glaçant, le récit s’articule autour de la lente descente aux enfers des personnages, contraints pour survivre à abandonner une part de leur humanité. Le fonctionnement de la société lui-même se pervertit, et l’auteur montre bien qu’en cas de situations extrêmes, personne n’est innocent. Rien de bien nouveau, en somme, mais tout cela est bien traité et l’auteur fait même preuve d’une certaine maîtrise dans ses cadrages.
Dessin : Le découpage aéré, avec peu de dialogues, et qui laisse la place à de grandes cases de paysages, a quelque chose de rafraîchissant et même parfois d’exaltant : les premiers moments du cataclysme laissent place à quelques cases spectaculaires et écrasantes, où l’homme paraît bien insignifiant. La mise en couleur donne de plus une véritable profondeur à ces planches : alors qu’elle s’avère très colorée dès la première page, elle s’assombrit au fur et à mesure des événements, symbolisant la déchéance des personnages. Les paysages eux-mêmes changent progressivement, se dirigeant même parfois vers une forme abstraction, où les couleurs prennent le pas sur le trait. Ces partis-pris esthétiques sont donc plutôt audacieux et étonnants.
Pour : Le personnage principal est particulièrement bien caractérisé, aussi bien physiquement que psychologiquement. Loin d’être un canon de beauté, cette mère de famille pragmatique est pourvue d’un charisme remarquable, une femme à la fois forte et fragile. Elle s’approche plus d’une Sigourney Weaver que d’une Scarlett Johansson, et la relation tumultueuse avec son ex-mari la rend plus humaine, ce qui est nécessaire dans ce type de récit.
Contre : Si la voix-off du personnage pose très bien le cadre dans la première partie de l’album, les extraits de son journal enferment par la suite le récit dans une routine assez déconcertante, résumant l’action au lieu de le mettre véritablement en scène. D’un point de vue marketing, l’album est de plus vendu de manière assez malhonnête : rien n’indique sur sa couverture ou dans sa page de garde qu’il s’agit du premier album d’une série, et bon nombre d’acheteurs ont dû s’en rendre compte en lisant la dernière page. On comprend parfaitement qu’un one-shot se vende mieux qu’un début de série, mais de là à oser déguiser l’un en l’autre, c’est tout même assez gonflé.
Pour conclure : Finalement assez classique, cette histoire à échelle humaine pourrait révéler plus d’ambition dans les tomes suivants. En espérant qu’elle ne tombe pas dans une surenchère de l’horreur inutile et stérile.