"L'Empereur Smith" est, avec "Canyon Apache", un des rares albums de Lucky Luke où le ton se fait plus grave. Dans "Canyon Apache", Morris et Goscinny évoquaient subtilement ce que les guerres contre les Indiens pouvaient avoir de sanguinaire, de fratricide, où la haine générait la haine encore et toujours, à cause de chefs bornés obéissant à des motifs personnels et finalement absurdes.
Certes, l'humour et le rythme du scénario de Goscinny, la fantaisie du dessin de Morris font de "L'Empereur Smith" un album tout aussi amusant et agréable à lire que les autres œuvres du duo. Smith, qui se prend pour l'empereur des Etats-Unis, n'est à la base pas un homme dangereux, juste un doux dingue, courtois et plutôt sympathique.
Mais cette bonne blague prend un tour nettement dramatique quand des crapules ambitieuses se mettent à le manipuler pour tirer profit de la situation. Et les braves citoyens de Grass Town, qui semblaient au-dessus de tout soupçon, se prennent à ce jeu dangereux, trop contents de se voir bombardés de titres ronflants (baron d'Abilene !), avides de vaine gloire, tous des mégalomanes en puissance, eux aussi ! Seuls échappent à ce jeu de massacre Lucky Luke, qui ramènera l'ordre, et le juge intègre, dont le courage manquera lui coûter la vie, sans que finalement les habitants de Grass Town réalisent la gravité de leurs actes et admettent leur profonde lâcheté -un défaut que Goscinny semble avoir en horreur et qu'il épingla aussi dans « Billy The Kid », où tous les habitants tremblent de peur devant le sale gosse ! Et l'album se conclut sur une note de tristesse tout-à-fait inhabituelle, lorsque Smith, solitaire et amer, prend le chemin de l'exil, tandis qu'on comprend en même temps qu'il est à jamais prisonnier de sa folie !