Je garde depuis ma tendre enfance, et ma première lecture de "l'Etoile Mystérieuse", une tendresse particulière pour cet album qui n'apparaît pourtant pas - en général - dans le Top 5 des meilleurs "Tintin" établi par les experts de tout poil. C'est que l'ambiance angoissante qui règne dans les quelques dix premières pages du livre (la fin du monde proche, le dérèglement du quotidien sous la chaleur grandissante, la folie qui contamine les personnages, puis la délivrance du tremblement de terre) n'a pas d'équivalent me semble-t-il dans l’œuvre de Hergé, et a marqué durablement mon inconscient. Si l'on ajoute la toute dernière partie du livre, quand l'effet du métal extraterrestre sur la nature se traduit en visions délirantes de champignons géants explosifs et d'insectes cauchemardesques, on se rend compte combien "l'Etoile Mystérieuse" est un livre singulier, qui marque d'ailleurs l'apparition d'une touche fantastique chez Hergé (que l'on retrouvera bien entendu dans "les 7 Boules de Cristal"). La partie centrale, décrivant - signe des temps puisque le livre date de 1942 - une course maritime entre un navire affrété par l'Europe de l'Axe (les bons) et un autre, américain, financé par un juif au nez crochu (les méchants, prêts à toutes les fourberies pour triompher) est la plus faible... sans même vouloir reparler du dérapage politique de Hergé, vite corrigé certes mais qui entachera durablement son image ! Tout cela reste toutefois très amusant grâce à l'accumulation de gags très "slapsticks" (chutes, chocs, etc.), à un Milou ne suivant que son estomac, et à un Capitaine Haddock à l'alcoolisme joyeux, célébré cette fois avec une allégresse bien éloignée du politiquement correct actuel.
PS 1 : Il est intéressant de relever un détail qui achève de distinguer stylistiquement "l'Etoile Mystérieuse" des autres "Tintin", la présence d'ombres portées dans les pages 6, 7 et 8, qui accentuent le caractère expressionniste de ces scènes angoissantes.
PS 2 : "L'Etoile Mystérieuse" fut le premier "Tintin" à être publié originellement en couleurs, et bénéficie de teintes ocres plus douces que celles de la palette habituelle des albums de Hergé, ce qui ajoute un certain charme aux scènes maritimes et à l'exploration de l’aérolithe. [Critique écrite en 2015 et complétée en 2017]