Que ce soit dans ses séries majeures ou celles jugées mineures, s'il y a bien une chose qu'on ne peut pas retirer à Jean Van Hamme, c'est son talent de conteur. Pour cette saga considérée comme une de ses trois plus célèbres (avec Thorgal et XIII), le scénariste adapte ses propres romans sous forme de dyptiques, ce qui lui permet de développer ses intrigues et ses personnages au rythme juste. Ce premier tome frappe par cette précision narrative. Les personnages sont présentés avec soin et la trame est soigneusement mise en place. On ne va pas plus vite que la musique et on s'endort pas en chemin non plus. Fidèle à ses habitudes narratives, Jean Van Hamme alterne les différents points de vue pour faire avancer son intrigue. L'album s'ouvre sur la mort de Nerio Winch, la nuit, en haut d'un building, avant de basculer sur la présentation de Largo en vacances en Turquie. En quelques planches, c'est l'univers de la saga qui est posé : la grisaille des villes, le monde des affaires, les hommes en costume cigare au bord des lèvres, le monde du dehors caressant ou hostile (à l'image d'une Turquie aux deux visages dans cet épisode) autour d'un Largo présenté comme un énigmatique baroudeur.
Et ce qui fait mouche immédiatement, c'est ce personnage qui trône parfaitement sur la couverture. De prime abord sympathique, il se montre rapidement intrépide et impitoyable. Sa belle gueule accroche, son style décontracté typique des années 90 vise juste, sa personnalité magnétique donne envie de le suivre au bout du monde. Et c'est justement ce qui semble nous attendre ici. Un personnage secondaire aux nerfs d'acier embarque avec lui, de jolies filles se trouvent sur leur chemin, des tueurs sont à leurs trousses, de potentiels alliés se signalent et le récit tranquillement décolle. Plus fun et léger que XIII, c'est un titre taillé pour être lu les pieds en éventail avec une paire de lunettes de soleil sur le nez. Même si le danger est au rendez-vous, Largo est un type cool, avec qui il fait bon d'être ami et qui a le goût de l'aventure. Ce n'est pas le mec torturé qui semble poursuivi par les emmerdes. Et puis si son chemin rencontre celui des emmerdes, cela semble l'amuser plus qu'autre chose. C'est ce contraste entre ces hommes d'affaires aux ambitions pas franchement humanistes et le personnage principal qui fait l'originalité de cette rencontre avec l'univers du titre.
Porté par un récit parfaitement mené, très cinématographique dans sa constrcution, voilà un premier tome qui s'avale d'un trait. Il est incarné par un dessin vraiment fluide. Si certains visages manquent de justesse par endroits, les stéréotypes sont parfaits (des hommes d'affaires aux sales types en passant par les jolies filles), les ambiances sont remarquablement rendues et l'action bien mise en scène. Ce premier épisode s'achève, comme il se doit, sur un climax soigneusement monté en épingle tout au long des dernières pages. On n'a qu'une hâte en le refermant, c'est de se jeter sur la suite. Et on comprend très vite pourquoi cette saga a connu un si large succès. Si elle ne finit pas par être écrasée par son contexte (le monde de la finance), elle a de grandes chances de trôner parmi mes titres favoris. Plus de trente ans après sa sortie, il était temps pour moi de la découvrir !