Dès ce premier album en 1990, cette série prend un tournant incroyable et devient rapidement un best-seller, un succès que Van Hamme est bien incapable d'expliquer lui-même. Comme quoi, à quoi tient le succès d'une BD, d'un film, d'une chanson ? si ça se savait, il y aurait encore plus de milliardaires dans le monde... Cette série marche par diptyque, et dans cet album, Van Hamme plante parfaitement le décor et les principaux personnages ; dès le début, on assiste au meurtre du multimilliardaire Nerio Winch qui est jeté du toit de son building, cette scène est intéressante car elle fait tout de suite comprendre au lecteur le milieu d'affaires dans lequel il va être plongé, Nerio y présente brièvement son empire à son assassin.
Pendant ce temps là, Largo est déjà dans la merde, il est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis et se retrouve dans une prison turque où il rencontre Simon Ovronnaz qui va devenir un ami fantasque mais fidèle et sûr, un personnage essentiel de la saga Winch, même si parfois il peut se révéler horripilant. Après une spectaculaire évasion, tous deux se retrouvent chez 2 bombasses en mal d'affection...
Rien qu'avec ces premières scènes, le cocktail action-érotisme léger-humour ironique est lancé,il n'y a plus qu'à secouer. Car évidemment, cette série empile les clichés par dizaines, le héros est un beau gosse, et ici toutes les femmes sont des bimbos, mais c'est suffisamment bien fait et assez divertissant pour passer un bon moment de lecture, sans se prendre la tête. Des BD comme ça, légères, insouciantes, distrayantes, il en faut, c'est comme de la série B au cinéma, pour moi en tout cas, c'est essentiel.
Tout ceci, et on le verra mieux par la suite, constitue un excellent suspense, assez jouissif et c'est tout qu'on lui demande ; mais Van Hamme n'étant pas un imbécile, ne se contente pas d'aligner une succession de scènes d'action dont n'importe quel amateur du genre est aujourd'hui trop repu, non, il insufle une authenticité dans ses scénarios en connexion avec l'actualité, et surtout il a une crédibilité pour le milieu financier grâce à ses diplômes (il est titulaire d'une agrégation en économie politique et licencié en droit des assurances, ça aide), de plus il connait parfaitement la géopolitique moderne.
Pourtant je craignais que ce milieu soit rébarbatif pour moi qui n'aime pas les banquiers et les milieux d'affaires, mais ici, ça passe bien, parce qu'il présente tout ça avec clarté. Il nous présente d'ailleurs dans cet album l'exécutif du Groupe W, avec des gueules de mecs très sérieux et pas rigolos du tout dans leurs petits costumes, et dont se détache le plus intéressant, John Sullivan ; on apprendra dans le second tome du diptyque que comme dans toute société ou entreprise, il y a toujours des pommes pourries. Le seul petit bémol est pour moi l'anti-conformisme de Largo parfois un peu trop poussé, où Van Hamme peut malencontreusement tomber dans le piège de la vulgarité, mais ce petit défaut est rattrapé par les astuces de scénario, la fiabilité du milieu d'affaires, la rapidité de l'action, et l'humour au second degré bien dosé.
De son côté, le dessin de Francq n'est pas encore tout à fait au top, surtout sur les visages, c'est le premier opus du premier diptyque, mais attention, c'est quand même du beau travail, avec du beau dessin lisse et propre comme je l'aime, de la même trempe que ceux de Juszezak, Aymond, De Vita ou Jigounov, un style néo-franco-belge très plaisant qu'on retrouve dans les BD des années 90 et 2000. Un beau démarrage donc que ce premier album qui marquait les débuts d'un nouveau grand classique moderne de la BD.