«Adolf, ne sais-tu donc pas que c'est mal d'être nazi ?!»

Ils m'auront tout fait. Tout. Les mangakas ne connaissent pas de limite au culot. C'est encore là l'un des pire défauts de leurs qualités.
Les excès, les abus, de tout ça, ils sont généralement coutumiers. Du plus infini opportuniste surfant sur l'outrance au plus grand génie créatif, ils m'auront tout fait. Le meilleur comme le pire. Surtout le pire d'ailleurs. Mais de toutes leurs intempérances, il ne s'était jusque là pas trouvé un seul parmi eux avec suffisamment d'aplomb pour nous raconter l'Histoire des hommes dissimulée derrière une fiction qui aurait pris «quelques menues libertés» avec la réalité. Depuis les écrits «historiques» - et quelques peu mensonger - de Robert Paxton quant aux événements de la seconde guerre mondiale en Europe, je n'apprécie décidément pas que des étrangers viennent remuer la merde sur nos terres car, ce faisant, ils ne contribuent en réalité qu'à en déverser davantage.


Voir dans l'Histoire des 3 Adolf une œuvre forte et poignante derrière ce document de propagande post-Nuremberg - tardif qui plus est - tient de l'auto-hypnose. À moins de s'en persuader au préalable, ce Seinen tapageur et surfait ne provoquera au mieux chez le lecteur attentif qu'un vague sentiment d'ennui remuant. Quant à ceux qui connaissent les choses de l'Histoire concernant cette période, ils seront partagés entre le fou-rire et le ressentiment des plus grinçants.
Chat échaudé craint l'eau froide, c'est encore pour cette raison qu'après des années de gavage médiatique intensif entourant la seconde guerre mondiale, j'ai fini par me montrer particulièrement vigilant quant à ce qu'on me rapporte relativement à ce pan de l'histoire européenne. Alors, présenté à ** un étranger qui n'a ni connaissance, ni légitimité pour revenir avec tant de désinvolture sur le récit historique d'un continent qui n'est pas le sien : je suis aux aguets**. Plus de vingt ans de propagande audiovisuelle anti-fasciste auront eu raison de mes nerfs ; quand une plume s'atèle à rapporter la période, elle n'a pas intérêt à verser une goutte d'encre de trop.


Osamu Tezuka lui, a versé l'encre déraisonnablement et avec une négligence telle que je ne saurais le lui pardonner. Portant sur lui au Japon une aura qui équivaut au moins à celle d'un Hergé dans le monde de la franco-belge, j'étais en droit d'en attendre plus d'un homme qu'on va jusqu'à présenter comme «le père du manga» ; bien qu'après tout, la légèreté du traitement d'une œuvre semble être coutumier à bien des mangakas, tant et si bien qu'on jurerait que cela est institué dans les mœurs de la discipline.
Rapporter avec certitude qu'Osamu Tezuka serait un auteur surfait s'avérerait finalement prématuré et peut-être même déplacé de ma part. L'Histoire des 3 Adolf atteste de ma première rencontre avec l'auteur. Cette première impression m'aura toutefois laissé un souvenir impérissable. Et pas un bon. Je m'abstiendrai cependant de juger sévèrement l'ensemble de son œuvre - conséquente - en m'en tenant à ce seul échantillonnage. Néanmoins... puisqu'il s'agit de son manga le plus populaire auprès de communauté SensCritique, je retrousse déjà le nez à l'idée d'arpenter le reste de ses ouvrages. À raison, je pense.


Ce manga qui se veut - paraît-il - une œuvre intelligente, haletante et raisonnée à en juger l'avis des critiques m'a fait l'effet de ce qu'elle est en réalité : une énième soupe soupe tiède copieusement assaisonnée de moraline frelatée. L'Histoire des 3 Adolf, en plus de constituer une pièce maîtresse de la propagande qui sévit déjà en nos contrées (ça valait bien le coup d'en importer de si loin) a la malhonnêteté de prétendre ne pas s'adonner au manichéisme, camouflant grossièrement sa farce en prétextant de nous servir un propos quasi-historique. Le «quasi» a son importance, je vous prie de bien vouloir me croire.


Les complots n'existent pas. On le sait aujourd'hui grâce à des esprits brillants, eux aussi propagandistes de métier, s'attelant d'ailleurs avec zèle à leur glorieux ouvrage. Rien n'est jamais dissimulé à la masse dans les hautes sphères du pouvoir qui, peuplées de gens trop honnêtes pour cacher quoi que ce soit, affichent toujours toutes leurs intentions de manière transparente, sans secret aucun. L'idée de la conjuration en politique ne peut dès lors être que le fruit pourri d'un cerveau malade. Sauf, bien entendu, si le complot a été ourdi par des nazis ou des Russes.


Voici que surgit alors des fourrées le complot S.S cherchant à dissimuler rien moins que l'ascendance juive d'Adolf Hitler. Je crois que même un collégien aux connaissances très limitées sur le fait historique européen aurait eu des scrupules à écrire des âneries pareilles. Âneries d'autant plus probantes qu'elles ont déjà été maintes fois analysées et jugées par pléthore d'historiens. Aujourd'hui, le consensus est fait : l'ascendance juive d'Adolf Hitler par sa grand-mère maternelle (faisant alors de lui un juif par le jeu les coutumes israëlites) est une fadaise de théoriciens en manque de sensation. Allemands comme Israëliens démentent aussi bien cette théorie fumeuse.


Mais en présentant ainsi son enquête, Osamu Tezuka n'a pas perdu l'occasion de démontrer - avec pétulance - que l'étendue de ses recherches historiques pour approfondir son œuvre s'étaient manifestement bornées aux magazine de la presse à scandale de l'époque. Car - et cela et criant à la lecture - pas un ouvrage historique n'a été ouvert ni même effleuré pour étoffer le contenu de son histoire. On s'en tient à l'écume des choses, quelques lieux-communs connus et sus de tous mais rien de plus. Pour peu que vous ayez passé l'école primaire, le manga n'apporte aucune information historique que vous ne connaissiez déjà. Ce qui, quand on narre un récit s'étalant des Jeux Olympiques de 1936 au conflit israelo-palestinien, s'apparente au travail du dernier des Jean-foutre.


Car, monsieur Tezuka aurait-il un peu arpenté les archives du Reich qu'il y aurait découvert quelques singulières informations très peu rapportées aujourd'hui. Cela ne se sait pas du plus grand nombre mais, les dignitaires nazis comprenaient de nombreux membres dont un ascendant proche aurait été juif. Werner Goldberg, un soldat allemand à demi juif, avait même servi de modèle pour faire la propagande du «Soldat Allemand idéal».
Non seulement aucun juif ne figurait dans l'arbre généalogique d'Adolf Hitler, mais, en y en aurait-il eu que cela n'aurait en rien déstabilisé ses assises sur le Reich. Et quand bien même - pour le besoin de la fiction - cela aurait pu lui être préjudiciable, pourquoi dans l'Histoire des 3 Adolf se trouve-t-il des agents nazis qui chercheraient à cacher cette information ? La logique voudrait au contraire qu'ils l'éventent par tout moyen précisément pour écarter Hitler du pouvoir.
Que ce soit d'un point de vue strictement historique ou simplement sur le plan de la logique pure, le scénario ne tient debout que sur une jambe gangrenée.


Le présupposé de la trame repose sur la possibilité de faire s'écrouler le troisième Reich grâce à un simple document prouvant que la grand-mère de Hitler et juive. On ne saura d'ailleurs pas d'où sort ce document, car, quitte à constituer une intrigue reposant sur une enquête, autant ne le faire qu'à moitié.
Être naïf au point de supputer qu'une information de si faible portée - et qui pourrait de toute manière être balayée par la propagande nazie si elle venait à être publiée - puisse faire imploser le parti nazi tient du fantasme d'étudiant en fac de Lettres. Les nazis ne sont pas des vampires qu'on transforme en poussière en les comparant à des juifs. Osamu Tezuka eut-il potassé à minima son sujet qu'il aurait su qu'il avait affaire à la structure bureaucratique totalitaire la plus implacable au monde. Des millions d'hommes et de femmes en mouvement n'auraient pas stoppé leur élan si le fusible à la tête du Reich avait sauté ; un autre lui aurait été aussitôt substitué.
Le scénario de l'Histoire des 3 Adolf était effondré avant même d'avoir eu le temps d'être bancal. Si c'est le meilleur que Tezuka ait à offrir, de grâce, gardez-moi du pire.


Du «père du manga» j'attendais évidemment que les dessins aient mal vieilli. Il s'agissait d'un pionnier du genre, ce qu'il avait à offrir ne pouvait être que plus rudimentaire que ce qui lui a succédé. C'était en tout cas ce que je pensais jusqu'à ce que je prenne connaissance de la date de publication de l'ouvrage. Mille-neuf-cents-quatre-vingt-trois ; durant cette même année, paraissait pour la première fois dans un magazine Shônen un certain titre du doux nom de Hokuto no Ken. J'invite alors le lecteur de cette critique à comparer les deux styles afin de constater à quel point Osamu Tezuka, en plus de vingt ans de carrière, fut infoutu de se renouveler artistiquement. Le contraste entre ses héritiers à cette période frappe en plein visage.
Qu'il fut précurseur n'implique pas nécessairement que son style tenait du génie. Les poses ringardes de ses personnages ont des allures de parodie tellement elles sont exagérées. Pour ce qui est de la proportion des corps, même Popeye a mieux vieilli. Le génie Tezuka ? Jusqu'à présent, j'en attends le preuves concluantes. Même le plus infime faisceau d'indice serait déjà un bon début.


Son intrigue est celle d'un polar sans imagination aux lacunes évidentes entremêlé de deux triangles amoureux. Ça ne dure que quatre tomes et ça en paraît durer cent. Tout est si mal rythmé. On stagne, on trépigne et quand enfin le scénario se décide à avancer, ce n'est que pour se perdre en une multitudes d'élucubrations absconses.
Le script n'en finit d'ailleurs pas de décevoir. Que Kaufman - qui n'a pourtant rien accompli de spécial - se retrouve, par la magie de la facilité scénaristique, à devenir secrétaire particulier d'Adolf Hitler mérite la palme du déroulement d'intrigue le plus forcé de la décennie. Des grosses ficelles pareilles, on s'en sert habituellement pour pendre les auteurs qui ont recours à une telle facilité narrative.


Bien sûr, il sera question de psychologiser Adolf Hitler. Quand on ne peut pas expliquer les faits historiques par le politique ou le sociologique, il reste cette dernière astuce à portée des plus feignants et autres malhonnêtes. «Adolf Hitler a-t-il des amis ?»... même RMC découverte n'aurait pas osé. Et pourtant, ils sont larges.
Au passage, je trouve truculent que Tezuka mette en scène des enfants durant une période de son récit. Utiliser des enfants pour des besoins de propagande était précisément le propre des totalitarisme du vingtième siècle. Comme quoi, de Goebbles à Tezuka, il n'y a au final qu'un continent qui les sépare.


Puisque l'auteur n'aurait édulcoré son délire scénaristique pour rien au monde, l'apothéose se concrétise sous la forme d'un révisionnisme historique à la puérilité inégalée. Adolf Hitler assassiné dans son bunker par un de ses hommes qui aurait découvert qu'il serait d'origine juive. J'en rirais volontiers mais le souffle me manque à force de soupirer.


De révisionnisme en révisionnisme, le chapitre trente-cinq est fabuleux dans son genre alors que l'histoire se poursuit en Israël. «Les juifs ont combattu pour protéger leur nouvelle patrie et les arabes ont combattu pour chasser leurs ennemis juifs.». Une critique de fiction n'est certes pas la tribune la plus désignée pour se perdre dans des considérations politiques, mais j'ai davantage le sentiment que les arabes qui combattaient le faisaient pour récupérer leurs terres et non pas par anti-sémitisme spontané ; la Palestine comprenait de nombreux résidents juifs avant la création d'Israël et ceux-ci vivaient en bonne intelligence avec les musulmans. Ali, du front de libération palestinien ira même jusqu'à prétendre pour les besoins de la propagande que son combat serait «une guerre divine entre deux races»... Tezuka n'a rien compris ou fait clairement mine de ne pas comprendre de quoi il en retourne. Je préfère encore le prendre pour un naïf que pour un menteur.


La narration laisse entendre à la toute fin que Tezuka se projette dans le personnage de Toge. Or... il est sans doute l'auteur le plus mal désigné par son époque pour écrire à propos de cette guerre puisqu'il a justement échappé à la conscription. L'humanisme, c'est d'autant plus facile quand on le professe au chaud depuis son atelier. Quand on a la prétention de faire la morale, on l'administre depuis des assises inébranlables ou on se tait. L'humanité pouvait amplement se dispenser d'une énième œuvre critique sur le nazisme. D'autant plus en considérant le caractère éminemment discutable du support.


L'Histoire des 3 Adolf est un document de propagande ordurier et éminemment politique qui n'a rien à envier à ce que la La Propagandastaffel avait pu répandre en guise de mensonges et autres approximations douteuses. Du manichéisme planqué derrière des considérations pseudo-humanistes. Je préfère un Kaufman qui se fourvoie honnêtement dans l'erreur qu'un Tezuka qui se compromet sciemment dans l'une des escobarderies les plus fielleuses de ce siècle.
Il y a plus de véracité historique et de contenu pertinent dans le film Iron Sky que dans l'Histoire des 3 Adolf, tenez-le vous pour dit


PS : Après avoir lu Ayako, j'ai enfin saisi pourquoi Tezuka était tant révéré. Pour autant, de son génie, pas même une once ne sera employée pour L'Histoire des 3 Adolf.

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le 16 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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