Avec L’Histoire des 3 Adolf (1983), Osamu Tezuka délaisse les robots adorables et les aventures fantastiques pour nous plonger dans une fresque historique sombre et puissante, où les destins de trois hommes portant le même prénom s’entrelacent sur fond de Seconde Guerre mondiale. Une œuvre ambitieuse, où la morale et l’humanité sont autant en question que la folie de l’Histoire elle-même.
L’intrigue commence avec Sohei Toge, un journaliste japonais, qui découvre un secret explosif lié à Adolf Hitler. S’ensuit une plongée dans les méandres de l’époque, où deux autres Adolf, l’un juif et l’autre nazi, se retrouvent au cœur d’un drame où amitié, trahison, et idéologie s’affrontent. C’est une exploration fascinante de la manière dont les vies individuelles peuvent être broyées par les forces du destin et les absurdités de la politique.
Tezuka jongle entre les événements historiques réels et les récits fictionnels avec une habileté impressionnante. Si le contexte historique est dense, il n’écrase jamais les personnages, qui restent au cœur de l’histoire. Sohei, en particulier, est un protagoniste marquant, porté par un mélange d’intégrité et de désespoir qui donne une véritable profondeur au récit.
Graphiquement, Tezuka est fidèle à son style, mêlant des designs de personnages expressifs et cartoonesques à des décors réalistes et des scènes d’une intensité dramatique étonnante. Si ce contraste peut dérouter, il fonctionne parfaitement ici, accentuant l’horreur de certaines situations tout en rendant les personnages incroyablement humains. Les moments les plus sombres, comme ceux relatant les atrocités de la guerre, sont d’autant plus saisissants grâce à cette juxtaposition stylistique.
Cependant, L’Histoire des 3 Adolf n’est pas sans ses défis. Le récit est dense, et la multitude de sous-intrigues et de personnages secondaires peut donner une impression de surcharge. Certains rebondissements flirtent avec le mélodrame, mais Tezuka réussit généralement à retomber sur ses pieds grâce à son sens inné du rythme narratif.
Ce qui distingue vraiment l’œuvre, c’est sa capacité à poser des questions sans donner de réponses simplistes. L’amitié brisée entre les deux jeunes Adolf, l’idéalisme de Sohei face à l’implacable réalité, et la présence constante d’Hitler en toile de fond créent une tension narrative qui pousse le lecteur à réfléchir sur la nature du bien, du mal, et sur les choix que nous faisons dans des circonstances impossibles.
En résumé, L’Histoire des 3 Adolf est une œuvre magistrale, à la fois drame humain et leçon d’Histoire. Osamu Tezuka montre ici qu’il n’est pas seulement le "Dieu du manga", mais aussi un maître conteur capable de naviguer dans les eaux troubles de la complexité morale et historique. Une lecture intense et mémorable, où chaque page résonne comme un écho du passé.