War zone
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Dans L’Homme de la situation, Lou Lubie explore les fêlures humaines. Elle décrit elle-même son album comme un « thriller psychologique très actuel qui questionne le stéréotype de l’homme fort et protecteur ». Et pour cause : elle en démontre l’extrême précarité.
Manu, c’est un homme comme il en existe des millions. Un jeune enseignant soucieux de bien faire, qui cherche à s’impliquer davantage dans son école en convoitant un poste de référent qui lui semble promis. Il a cessé de voir son père en raison d’un passif familial douloureux mais reste lié à son frère Gabriel, même s’il ne lui accorde pas toujours l’attention escomptée. Et puis, il y a ce sentiment universel qu’il partage avec le reste de l’humanité : l’impression d’être « l’homme de la situation ». Il s’est longtemps perçu comme le protecteur inconditionnel de Gabriel et a aujourd’hui la conviction intime de porter sur ses épaules tout le poids d’une institution scolaire qui survivra pourtant à son départ.
Car Manu ne résistera pas à une double désillusion : à sa rupture avec Noémie (qu’il explique par une hypothétique bipolarité) vient s’ajouter la promotion à un poste de gestion, au nom de la parité homme-femme, d’une collègue qu’il estime moins qualifiée que lui. Il n’en fallait pas plus pour que l’enseignant modèle décide de claquer provisoirement la porte de l’école. Mais celui que Lou Lubie représente en première page comme un homme accablé par la charge du monde ne va certainement pas rester les bras croisés. Il rencontre par hasard une famille dysfonctionnelle, composée de sept enfants, tous déscolarisés, et élevés par une mère trop occupée à gérer un hôtel pour veiller sur eux. Manu se montre sensible à leur situation, et plus particulièrement à celle de Rusine, adolescente de quinze ans analphabète, mais aussi mère de substitution censée pallier les démissions parentales.
Il prolonge alors son congé. « Je vais là où on a besoin de moi. » Mais les apparences sont parfois trompeuses et Manu semble avant tout piégé par ses propres sentiments, dont ces enfants quasi orphelins ne sont que des manifestations métaphoriques : culpabilité, rejet, honte, échec, frustration, regret, remords. « Ce sont les sept angoisses primordiales », « sept tourments qui s’engouffrent dans nos failles intimes ». Ici, la qualification de cette bande dessinée en thriller pyschologique prend tout son sens : non seulement Lou Lubie nous mène sur la piste d’un hôtel fantasmagorique qui semble retenir ses pensionnaires en otages, mais elle radiographie surtout l’âme humaine, dans ses dimensions les plus ordinaires et douloureuses. Le Crystal Palace n’est référencé nulle part, on ne peut le prendre en photo et seul un certain Albin Thaloux semble être parvenu à s’y échapper. Ses résidents apparaissent « séquestrés et vampirisés ».
Fidèle à lui-même, Manu entend enquêter sur ces mystères et se dresser contre cette famille qui met à mal ceux qui croisent sa route. Ce qu’il ignore encore, c’est qu’il s’agit là d’une forme de thérapie heuristique. L’hôtel n’est que la manifestation de ses démons intérieurs. Le salut de Manu viendra de sa capacité de résilience, comme l’explicite très bien son père : « Personne ne peut se débarrasser de toutes ses peurs. On en surmonte certaines, on accepte les autres, c’est ce qui nous rend humains. » Là est le message fondamental de l’album. Parfois, comme l’énonce Manu, « le bonheur des autres est cruel ». Et surtout au regard de ses propres échecs. Mais il faut apprendre à vivre avec ses déboires, à s’en servir pour grandir.
Une autre trame donne de la substance à L’Homme de la situation. Elle porte sur la relation conflictuelle qui lie Manu et son père, sur fond de sentiment d’abandon et de secrets inavoués. Si elle n’occupe pas une grande place dans l’album, elle possède en revanche une signification forte qui y apporte un degré de lecture supplémentaire. En explorant la piste fantastique, Lou Lubie s’échine avant tout à faire état de la vulnérabilité des hommes. Et le pari est tenu.
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 31 janv. 2021
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