Elise, mère célibataire avec un enfant, vient d’acquérir une maison qu’elle n’a même pas visitée. Il faut dire que l’annonce était alléchante. Une dépendance domaniale d’une maison de maître, début XIXe siècle, 108 m2, au prix de 25 000 euros, ça ne se trouve pas tous les jours… Le jour où elle emménage, elle constate que les lieux sont dans leur jus (la maison est inhabitée depuis trente ans), comme si l’ancien résident avait disparu du jour au lendemain. Mais alors, comment faire pour se débarrasser de tous ces objets accumulés pendant de longues années ? Entre le mobilier défraîchi mais dans un état satisfaisant, les tableaux au mur difficiles à estimer et tous les objets divers et variés encombrant les pièces, pas facile de savoir par quel bout commencer ? Avec l’aide de ses parents, elle va se lancer dans un tri qui va s’avérer entravé par le poids mémoriel.
Avec « L’Homme miroir », Simon Lamouret, remarqué avec son album précédent paru en 2020, « L’Alcazar », nous livre un récit atypique dans un format très personnel, qui décrit l’emménagement de cette jeune femme, Elise, dans une vieille demeure à l’abandon depuis trente ans. Une situation plutôt banale que l’auteur va tenter de transcender en redonnant vie à l’innombrable quantité d’objets et de biens laissé par l’occupant précédent : des meubles, des peintures, des lampes et mille autres bibelots qui donnent à l’endroit des airs de brocante. L’auteur a mis trois ans pour accoucher de ce projet qui lui tenait visiblement à cœur, projet dont on perçoit en effet une réelle ambition. Celle peut-être de montrer que tout objet, si insignifiant soit-il, n’est plus tout à fait un simple objet dès lors qu’il a été conservé sciemment par un individu, et que tous ces petits bouts de vie fournissent des indices parlants sur son propriétaire. A travers tous ces reliques peuplant la maison, Elise, son fils Antoine et ses jeunes retraités de parents, vont ainsi peu à peu reconstituer le portrait de l’ancien occupant des lieux dont ils ne connaissent rien. Chasseur de fauves, coureur de jupons, peintre accompli ou voyageur libre, chacun édifiera sa propre vision du personnage…
Le sujet de départ est digne d’intérêt, et dès les premières pages, on est intrigué par cette fausse histoire de fantômes qui révèle progressivement tout son charme, notamment par un dessin qui séduit par son côté « artisanal » et ses couleurs chatoyantes. Simon Lamouret fait preuve ici d’un sens du détail absolument insensé. Qu’il s’agisse des objets, du mobilier, de la déco, du papier peint, des vêtements, des habitations, des panneaux sur les routes, aucune hiérarchie ne ressort, on est dans l’égalitarisme absolu, et chaque élément aura l’importance qu’on voudra bien lui donner. Alors bien sûr, on est à mille lieues du minimalisme, mais cela produit quelque chose de très vivant, une approche qui rappelle beaucoup celle de David Sala, qu’on a pu observer dans son magnifique album, « Le Poids des héros » (Casterman, 2022).
Ce souci du détail s’applique également à la narration, et c’est peut-être là que le bât blesse. L’histoire a tendance à s’éparpiller dans de nombreuses digressions, qui passent bien quand elles revêtent un caractère onirique mais génèrent une certaine confusion quand il s’agit de mettre en scène la vie fantasmée de l’ancien occupant des lieux, avec de trop nombreux personnages que l’on ne distingue pas forcément. De même, les dialogues auraient mérité d’être élagués. La trouvaille pertinente — et de fait, indispensable — de choisir une police différente pour chaque protagoniste ne contribue pas vraiment à saisir l’utilité de certaines conversations.
Au final, on a un peu l’impression que Lamouret, à trop vouloir dire, a été quelque peu dépassé par son projet. En ce qui me concerne, j’ai réussi à terminer le livre (240 pages tout de même) seulement grâce à ce graphisme qui par certains aspects fleure bon la Madeleine de Proust. Malheureusement, et c’est très dommage (oui, tellement dommage !), j’avoue avoir été gagné par une certaine lassitude, en partie pour les raisons évoquées au paragraphe précédent, mais aussi à cause d’une narration manquant de relief, où un minimum de dramaturgie aurait été bienvenue. Et on ne sait pas trop au juste ce qu’il faut retenir de tout cela. Ce qui n’empêchera pas de croire au potentiel de l’auteur, qui mérite une légitime attention pour sa production future.
Notons également la très belle édition des éditions Sarbacane, avec la silhouette découpée en couverture pour laisser apparaître la page de garde. De même, on pourra apprécier l’EP de 4 titres au charme suranné accompagnant l’album (via QR code), avec la très belle voix d’Effamm Labeyrie (Mes Souliers sont Rouges) interprétant des textes de Simon Lamouret.