Cette fois, c’est le Derviche qui est à l’honneur pour ce quatrième volet de « Saint-Elme », le polar le plus insolite de ces dernières années en matière de neuvième art. Ce personnage très emblématique de la série apparaît sur la couverture en suspension, sur fond de cosmos étoilé, prêt à asséner un coup de pied redoutable à un ennemi que l’on ne voit pas.
Dans « Un Œil dans le dos », titre de cet épisode, on retrouve toute la galerie de protagonistes avec lesquels nous sommes maintenant familiarisés, notamment ceux gravitant autour du clan des Sax, la richissime famille qui tient Saint-Elme sous son emprise, grâce à ses intérêts dans l’eau de source qui a fait la réputation de la ville alpine. En face, Franck Sangara, chargé de ramener Arno Cavalieri, dit le Derviche, dans le giron familial. Le « jeune bourge » travaille désormais dans un trafic de stupéfiants chapeauté « non officiellement » par les Sax. Franck, qui fait figure de miraculé après les graves brulures qu’il a subi lors de l’interrogatoire violent des Sax, est désormais représenté en momie vivante, réfugié dans l’auberge « La Vache brûlée » aux côtés de son frère Philippe et de Madame Dombre. Car la mafia des Sax ne recule devant rien pour décourager voire éliminer tous ceux qui se mettent un tant soit peu en travers de leur chemin…
Cette série poursuit sans coup férir la voie que Serge Lehman et Frederik Peeters lui ont tracé depuis le tome 1. On reste toujours autant happés par ce « hardboiled » dont l’intrigue ne cesse de se tendre au fur et à mesure que l’on parcourt les tomes successifs. Avec ses personnages bien construits psychologiquement, qu’ils soient excentriques, inquiétants, mystérieux ou carrément crétins, le récit continue à s’enfoncer doucement dans la folie, avec jusque ce qu’il faut de mystère, évitant de franchir les limites du crédible, sans oublier une touche discrète d’humour. Outre les récurrentes grenouilles « volantes » et ce chien au regard diabolique du redoutable Gregor Mazur, l’image forte de ce tome demeurera cette incroyable chondrite — « météorite plus vieille que la Terre » — dévoilant sa structure sur une pleine page et explosant à la suivante dans une sorte de mini-big bang cosmique.
Tout cela est permis par la patte unique de Frederick Peeters, qui a su insérer dans ce polar noir une bonne dose d’onirisme, parvenant à fasciner le lecteur sans les lui dévoiler, à l’instar de ses œuvres précédentes. L’auteur suisse a en outre su concocter ici une palette très audacieuse de couleurs fluorescentes, conférant une ambiance psychédélique et singulière qui met en lumière, comme le qualifie Madame Dombre, notre monde « détraqué » auquel on est tellement habitué qu’ « on n’y fait même plus attention ». La conclusion de ce tome fera une incursion un peu plus prononcée dans le fantastique, notamment à travers le medium Mertens, laissant présager des révélations spectaculaires pour le cinquième et dernier volet de la série.