L'Ombre de l'Aigle - Kraa, tome 2 par Eric17
« L'ombre de l'aigle » est le second tome de « Kraa ». J'ai découvert cette histoire lors de la sortie de son premier opus intitulé « La vallée perdue » et datant de presque deux ans. J'avais été attiré par cet ouvrage par le nom de son auteur, Benoît Sokal. Il est l'auteur des aventures d'un mes héros préférés, Canardo. Chaque nouvelle parution des enquêtes de ce détective privé, vague cousin palmipède de notre regretté Columbo. J'étais donc curieux de voir cet écrivain naviguer dans un univers habité par des personnages aux traits non animaliers. La lecture de « La vallée perdue » m'avait offert un moment très agréable. J'avais été habité par les histoires et conquis par les personnages. J'espérais donc que cette suite allait être à la hauteur des attentes suscitées par cette première rencontre. Ce bouquin est un objet de qualité. La couverture est très rigide et les pages épaisses. Il se compose d'une soixantaine de pages. Son prix avoisine les seize euros. Edité chez Casterman, sa parution date du mois de janvier dernier.
« Je n'aime rien du printemps... Si ce n'est les nuages noirs que renvoient sans cesse les montagnes jusqu'au cœur de notre vallée... et la lumière blanche de leur colère ! » Ces paroles correspondent aux propos tenus par un aigle sur la quatrième de couverture de l'album. Car la particularité de cette série est que son duo de héros est composé d'un enfant et d'un aigle. Ils sont reliés par un lien de nature shamanique. Ils vivent dans une région reculée de l'Alaska. Alors que la communauté vit en harmonie avec la nature locale. Mais au cours du premier tome, apparait une bande d'investisseurs et d'ingénieurs motivés par l'idée d'urbaniser de manière brutale la vallée négligeant les autochtones. Cela donne lieu à des massacres qui ont tendance à énerver notre duo qui décide de mener la résistance contre tous les protagonistes du projet...
« La vallée perdue » nous offrait une découverte de cet univers et de ses habitants. Le dépaysement était rapide et profond. J'avais pris énormément de plaisir à être immergé dans cette région à la nature difficile mais dont les habitants apparaissaient accueillants. Une fois que les « méchants » étaient sur les lieux, le ton devient plus dur, rude. Toute personne freinant le chantier est amenée à devenir une victime. Cette dimension sociale est intéressante et apparait très réaliste. On est impliqué émotionnellement dans la souffrance des locaux qui ne sont que quantité négligeable aux yeux des cowboys et autres dirigeants ambitieux. Cette dimension existe toujours dans ce second tome. Le côté inéluctable de cette modernité inhumaine ne nous laisse pas indifférent et nous implique pleinement dans l'histoire. Sokal arrive à générer une atmosphère prenante d'une qualité rare.
Au-delà de l'aspect communautaire de l'intrigue, la narration est centrée autour du personnage de Yuma et de Kraa. Le premier est un adolescent dont toute la famille a été exterminée. Il vit en autarcie avec le second et ne sort la nuit que pour se venger des bourreaux de ses proches. Leur lien est intense et possède une dimension spirituelle certaine. Ils possèdent un lien télépathique assez intense et savamment mis en valeur par l'auteur. Certaines scènes shamaniques sont vraiment envoutantes par le dessin, la construction et les paroles. Elles ne sombrent jamais ni dans le ridicule ni dans le kitch. Elles sont relativement rares dans l'histoire et marque un temps fort de la narration. Leur rareté leur offre une plus grande ampleur.
Un des attraits réside dans le rôle pris par un personnage secondaire du premier tome prénommée Emily. Cette jeune fille est l'assistante du médecin et connait Yuma pour l'avoir soigné dans l'opus précédent. Elle occupe une partie non négligeable de ce second opus et est amenée à prendre une place auprès de Yuma et faire chavirer quelque peu le lien entre les deux « frères ». Ces évolutions sont subtilement contées par Sokal. Rien n'est radical. Tout est narré en finesse. On se laisse emporter petit à petit dans la trame pour notre plus grand plaisir. Je ne développe pas davantage le lien entre Emily et Yuma car la lecture vous offrira les réponses aux questions naissantes à ce propos. On retrouve également les hommes de main en charge de garantir l'évolution positive du chantier. Ils n'ont pas gagné en humanité depuis l'album précédent et notre animosité à leur encontre ne fait que grandir. Le spectre émotionnel est très large.
Les dessins sont toujours aussi bons. Les couleurs tournent essentiellement autour des tons marron et gris. La dureté de la nature et du climat en Alaska sont particulièrement bien transcrits. L'immersion dans cet univers est une des grandes réussites de cet album. Les sensations de pluie, de froid, d'aridité se dégagent de chacune des pages. A cela s'ajoute, des personnages aux personnalités travaillées. Que ce soit par leur physique ou par leur attitude, chacun déclenche chez nous de l'empathie, de la colère, de la solidarité ou de l'antipathie. Bref, l'indifférence n'est pas de mise dans cet album.
En conclusion, « L'ombre de l'aigle » est un ouvrage de grande qualité. J'ai pris énormément de plaisir à me plonger à nouveau dans ce monde et à retrouver ses protagonistes. Il s'agit à mes yeux d'un des meilleurs albums de ce début d'année. La dernière page nous annonce que « Kraa » est voué à se terminer dans le prochain opus intitulé « La colère blanche de l'orage ». J'ai hâte de le découvrir. Mais cela est une autre histoire...