Au milieu des centaines de bandes dessinées qui engorgent les rayons et les tables des libraires, il n'est pas forcément évident de savoir pourquoi choisir "l'Or des Caïds", le premier tome de "Ira Dei", la nouvelle saga de Brugeas et Toulhoat, et ce d'autant que la couverture - guerrière, virile, lyrique, visant clairement un public ado masculin dévoreur d'heroïc fantasy - ne le distingue guère du reste de la production standard du genre. C'est en se plongeant dans le récit complexe et tourmenté de Vincent Brugeas que l'on perçoit l'intérêt du livre, dans le mélange d'un réalisme historique inhabituel (enfin, c'est que l'on se dit quand on n'est pas forcément expert en histoire européenne du début du second millénaire !) et d'intrigues politiques de haute volée (disons le syndrome "Game of Thrones"...).
Il n'est pas facile d'ailleurs d'entrer dans "Ira Dei", du fait de la nécessité d'expliquer le contexte historique du livre en quelques phrases, mais surtout de cette impression qu'on attaque l'histoire de Tancrède le Normand (à moins qu'il ne s'agisse de Robert...) par le milieu, alors que bien des choses cruciales se sont déjà passées : certaines seront expliquées via des flashbacks (pages noires, ce qui en facilite un peu inutilement l'identification), mais la plupart seront mentionnées dans des conversations entre les personnages, et ce n'est finalement que dans les toutes dernières pages que les véritables enjeux du récit nous seront révélés ! C'est là un peu un "truc" de scénariste que l'on peut trouver irritant - il est très utile de relire alors immédiatement "l'Or des Caïds", cette seconde lecture s'avérant bien plus riche que la première - mais qui est indéniablement efficace puisqu'on brûle désormais de connaître la suite.
Il faut souligner en outre le graphisme remarquable de Ronan Toulhouat qui ajoute un lyrisme brûlant aux scènes d'action - sanglantes et viriles comme il se doit, mais on est un peu là dans le domaine du cliché - mais aussi aux scènes plus intéressantes de confrontation entre des personnages qui s'apparentent plutôt à un jeu d'échec mortel. L'utilisation des couleurs, splendide, renforce le plaisir de la lecture, même si l'utilisation systématique de rouges-orangés dans la dernière partie est un peu une facilité.
Bref, même si la réussite n'est pas absolue, voilà un livre intrigant et plus original qu'on pourrait le penser a priori... dont on attend la suite avec impatience pour voir s'il tiendra toutes ses promesses.
[Critique écrite en 2018]