S’il ne s’agissait que de personnages de fiction se découvrant tels, ce premier volume de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves ne serait qu’une resucée, version « neuvième art », du Paludes de Gide ou de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello. Or, l’Origine est davantage qu’une quelconque mise en abyme. Davantage aussi qu’une simple prouesse technique, davantage qu’une album qui compte à la fois quarante-deux et quarante-trois planches…
En guise de prologue, un personnage s’éveille au matin au sortir d’un rêve agité : ça doit rappeler quelque chose aux lecteurs de l’écrivain tchèque dont le nom a fourni une contrepèterie à Marc-Antoine Mathieu pour son héros. L’album, et plus tard on découvrira que c’est le cas de toute la série, sera résolument littéraire : sans hasard, la question du langage – le sens du mot origine – sera la goutte d’eau par laquelle il quittera la catégorie de l’intéressant pour passer dans celle du marquant.
Petit à petit, la dystopie s’est mise en place : un monde sans nature, peuplée uniquement d’hommes adultes blancs, des embouteillages piétonniers (!), une promiscuité de chaque instant, une ville entièrement consacrée à l’administration – wieder merci, Franz ! – et dont l’architecture ferait passer le palais de justice de Bruxelles pour une cahute… Les lignes géométriques et le noir et blanc de certaines cases de l’Origine font naître d’oppressantes perspectives. Même l’espace intime n’échappe pas à cet écrasement : la scène de l’ascenseur est une merveille, d’autant qu’elle trouvera aux planches 36 à 39 son équivalent graphique – une case trouée comme un plancher…
Et malgré tout, c’est un chef-d’œuvre d’humour ! – tout autant que d’intelligence.