L'Origine - Julius Corentin Acquefacques, tome 1 par Sejy
L'imaginaire débridé de Marc Antoine Mathieu ne semble pas avoir de limites. Son talent non plus d'ailleurs. Car s'il a des idées (et des idées originales, c'est le moins que l'on puisse dire), c'est avec maestria qu'il leur donne corps. Découvrez et savourez ses géniales élucubrations et son brin de folie dans cette oeuvre conceptuelle où les planches introspectives démantèlent les ressorts et rouages de la bande dessinée tout en faisant la part belle au rêve et à l'humour. Dévoilant une lecture à multiples dimensions, c'est une composition ambitieuse qui offre un plaisir éclectique intense et puise sa source dans une étrange scénographie.
Un monde paradoxal qui oscille entre un fantastique (voir fantasmatique) et une réalité dont la filiation à l'univers kafkaïen va bien plus loin que le nom du héros (relisez-le attentivement). Une société triste, dépersonnalisée, prisonnière du carcan d'un système bureaucratique jusqu'au-boutiste et de son décorum loufoque. En occultant l'individu (jusqu'à tenter de réfréner ses rêves), ce microcosme expose des accents totalitaires très terre-à-terre et, parallèlement, un surréalisme troublant quand il affiche la conscience de sa virtualité et de son éphémère. Un théâtre, dont on pourrait s'inquiéter qu'il soit obscur ou oppressant, mais qui s'avère en vérité intellectuellement et émotionnellement vivifiant, burlesque et avant tout ludique.
En effet, les méandres des escapades oniriques de Julius Corentin Acquefacques sont autant de prétextes pour jouer avec le média. En transgressant les codes et en aplatissant les conventions, l'auteur propose une exploration de l'art séquentiel qui suggère une vision au-delà des horizons (au propre comme au figuré). Par une mise en abîme permanente, riche d'étonnantes trouvailles narratives ou graphiques, il expérimente et manipule la forme, miroir sans tain qui tout en renvoyant l'image d'une histoire en train de se fabriquer laisse transparaître les coulisses de sa genèse. Une déconstruction de l'album, expérience intrigante et jubilatoire, qui s'autorise même quelques modulations mystiques. Par ce démontage du processus créatif, on pénètre un peu plus dans l'atelier et la pensée du « Créateur », excitante intrusion dans le domaine immatériel des « dieux ».
Tout cela paraît un peu compliqué. Mais rassurez-vous. Si, au-delà des protagonistes et des pérégrinations du personnage principal, c'est bien une réflexion d'envergure que l'on perçoit (chacun pouvant l'appréhender à sa manière), l'ensemble demeure ouvert et accessible. Pas de messages formatés ou de prises de tête. Les questionnements métaphysiques maquillés d'un absurde récurrent et les autres clins d'œil scientifiques ne sont là que pour le ravissement de l'esprit et la détente des zygomatiques. Enfin s'il est difficile d'éprouver une réelle empathie pour ce bon Julius, on pourra néanmoins le gratifier de quelque sympathie ; il nous fait simplement, et si merveilleusement, rêver.
Un beau voyage spirituel en noir et blanc dont la ligne, géométrique, incisive et limpide ne s'encombre pas de fioritures. Froide et inexpressive, elle va droit au but, sa puissance évocatrice ne servant exclusivement que le récit. Cette colorisation manichéiste est également bénéfique dans le sens où elle ne parasite pas les perceptions. Le lecteur peut ainsi remplir les éventuels « blancs » du propos par sa seule imagination et se métamorphoser en acteur à part entière.
Vous hésitez ? Devant de telles perspectives, point de fuite ! La seule ligne de conduite à suivre c'est de franchir le pas.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 BD