Le premier tome de Mondo Reverso avait été une belle surprise, une farce burlesque et western, s’amusant à intervertir les codes et les genres. Les clichés sexuels et sexistes sont ainsi inversés avec imagination. Une plaisanterie réussie, fraîche et décontractée de la moustache.
Que s’est-il donc passé pour cette suite, qui semble à bout de souffle ? Le succès de ce premier tome aurait-il rendu frileux ses auteurs, à qui on aurait pu reprocher ses petits moments de mauvais genre bienvenus ?
A l’image de ses deux héros, Mondo Reverso semble s’être assagi. Cornelia et Lindbergh, les deux héros marginaux du premier, entre la femme libre et croqueuse de mâle et homme qui n’en pouvait plus des attentes placées à cause de son sexe, se sont mariés, ils ont des enfants et Cornélia est devenue la shériffe. Lindbergh commence à pester de cette situation, invisibilisé à cause de son genre, devenu « mari de ». Alors quand Cornelia est sommée d’enquêter sur la mystérieuse disparition d’un petit garçon innocent du village, Lindbergh part à ses trousses, et tous deux par des chemins bien différents s’aventureront jusqu’à un cirque itinérant et l’escale finale se fera à Mexico, pendant la fête des morts, face à la baronne Vendredi, croqueuse de jouvenceaux.
Le Gouefflec et Bertail semblent avoir perdu de vue leurs deux personnages principaux, libres et se moquant tant bien que mal des conventions dans le premier tome. Sans qu’ils n’aient jamais été finement caractérisés, leurs personnalités dans ce nouveau volet ont subi un gros coup de rabot, qui peine à les rendre éclatants. La belle et décontractée Cornelia y perd le plus, tout occupée à régler cette enquête tandis que Lindbergh, en dépit de ses éternels jérémiades contre sa femme, est un peu plus plaisant à suivre, se déguisant en femme avant d’être « séduit » par la baronne Vendredi.
L’album met d’ailleurs un temps fou à démarrer, à se lancer. La deuxième partie sera à un peu plus conforme à la folie de Mondo Reverso, de ses personnages hauts en couleur. Assez curieusement, le bout de trajet partagé avec les Freaks du cirque manque d’éclats, ce ne sera plus le cas avec le Mexique de la baronne Vendredi et l’exubérance de la fête des morts mexicaine. C’est aussi le retour d’une vieille connaissance, laissé à la fin du premier avec un sortilège décapant.
Le lecteur s’amusera tout de même des petites idées de Mondo Reverso, où les hommes occupent les rôles attendus féminins, et inversement, et plus spécialement dans ce cadre de western où les clichés sexistes sont très forts. Les femmes sont en position de force, les hommes leur sont soumis. Il y a le vocabulaire, évidemment, on évoque plus facilement un « chochot » ou un « pimbêche », tandis que les mauvais garçons « préfèrent se faire peloter les balloches à la fête du printemps ». L’inversion des rôles ou des traditions sexuées est amusante, tandis que le harem plus loin sera bien entendu composé de jeunes éphèbes. Pour autant, en dehors de quelques décalages bien trouvés et amusants, Mondo Reverso semble avoir fait le tour de la situation, peinant à être aussi audacieux dans ses idées qu’auparavant.
Ce premier tome, encore lui, était d’ailleurs plus fou, plus osé. La scène dans le bordel avec son inversion des positions sexuelles n’a pas son équivalent ici. Le poitrail dénudé de ses personnages féminins, symbole de leur force et de leur indépendance, s’est un peu rhabillé. Il n’y a plus vraiment de scènes érotiques, un peu troublantes, alors que Lindbergh et Cornelia ont quelques occasions tentatrices, toujours repoussées. De même, le grotesque de ses possibilités semble s’être amenuisé, la violence y est réduite, les balles tirées se font plus rares, les corps perforés ou les têtes explosées aussi. La petite folie graphique a perdu de sa superbe.
C’est pourtant toujours aussi bien dessiné, même si la première partie use de fonds blancs un peu décevants. Ce ne sera plus le cas par la suite avec l’obscurité tombée et des intérieurs plus nombreux. A la fois précis et exagéré, un peu souple sur les traits, le trait de Dominique Bertail verse dans la caricature sans outrance. Ses lavis sépia offrent un rendu faussement ancien, étant donné l’univers. La BD est dédiée à la « mémoire de Jack Davis et du magazine MAD », célèbre revue satirique, et la filiation est évidente.
La surprise n’est peut-être plus là, et la barre était haute. Ce deuxième tome semble ronronner un peu, il ne pétarade plus guère. Sa douce folie du premier tome s’est un peu émoussée, peut-être même conformée. Sa farce amuse toujours, mais le rire n’est plus aussi mordant. Une des séries les plus prometteuses mais aussi l'une des plus polémiques de ces dernières années n'en ressort pas grandie, dommage.