Cette BD de 2009, qui est plus un comics français, est avant tout le bébé de Serge Lehman, auteur et passionné de science-fiction. Il avait depuis plusieurs années « redécouvert » des textes de science-fiction française datant d’un âge d’or situé entre la fin du XIXe et la seconde guerre mondiale et se posait la question de savoir pourquoi, alors que la France était l’un des berceaux de ce genre, nous considérons aujourd’hui qu’il s’agit d’un genre né aux États-Unis, dont nous ne sommes qu’imitateurs, et pourquoi une très grande partie des précurseurs français sont-ils oubliés ?
L’idée lui était venue d’écrire une histoire qui expliquerait cette disparition, en se concentrant sur la question du surhomme, souvent présent dans les récits de SF et qu’il juge être le point fondamental de cette disparition. C’est donc ce qu’il a fait dans ce comics qui nous parle de la disparition des super-héros européens à l’aube de la seconde guerre mondiale.
L’histoire se déroule sur six tomes, tous réunis dans une intégrale qui comprend en plus un commentaire de l’auteur, assez intéressant, dont une partie référence page par page les emprunts faits à la littérature SF de l’époque. Époque où l’on ne parlait pas de SF d’ailleurs, mais de Merveilleux-scientifique. Même si ces références sont loin d’être complètes à mon avis, il y en a déjà beaucoup, et ça rend la version intégrale indispensable pour pleinement apprécier le récit.
Que de découvertes en effet dans ces pages ! Serge Lehman prend plaisir à mélanger les représentants choisis parmi plusieurs milliers d’œuvres (il parlait de 3000 textes dans l’anthologie Chasseurs de chimères, mais avait révisé ce nombre à environ 10.000 en 2019), les arrangeant parfois, s’en inspirant librement d’autres fois, pour créer un univers cohérent, les Hyper-mondes, qui n’est pas sans rappeler les univers étendus de Marvel ou DC. La démarche est d’ailleurs très proche de celle d’Alan Moore avec La ligue des gentlemen extraordinaires, mais là où Alan Moore crée les Avengers victoriens en prenant les personnages les plus connus de l’époque, Serge Lehman choisi des héros oubliés pour expliquer pourquoi ils sont tombés dans l’oubli.
En dehors des quatre héros formant la Brigade elle-même, dont Serge Lehman ne s’attribue qu’à moitié la paternité, nous retrouvons donc des personnages plus ou moins oubliés comme Le Nyctalope, Félifax l’homme tigre, Palmyre la magicienne, Le passe-muraille … et bien d’autres. Beaucoup, beaucoup d’autres qui vont faire une apparition éclair, ou se retrouver éléments majeurs du récit. Et même si il s’agit ici plus de radiumpunk que de steampunk, on retrouve aussi pas mal de personnages historiques, surtout parmi les auteurs des récits d’origines qui deviennent plus ici des biographes au lieu d’écrivains de fictions. Les clins d’œil sont donc très nombreux et viennent enrichir un récit original.
Le récit en lui-même, il faut s’y attendre, se termine plutôt mal. Dans le genre « plutôt » est un euphémisme. Je m’attendais à ce que ce soit plus graduel et voir les super-héros disparaître un par un au cours du conflit, mais ce n’est pas la voie choisie par l’auteur. D’une certaine façon c’est très comics puisqu’en fait bien peu de « super » meurent et qu’une porte est même laissée ouverte à un retour possible. Logique, à travers ce livre j’imagine qu’il y a forcément un espoir de ranimer le genre en France.
C’est quand même le genre de fin qui est très déprimante, mais elle ne sort pas de nul part, compte tenu du contexte. Narrativement par contre, c’est autre chose. Heureusement qu’on connaît le thème du livre avant même de l’ouvrir parce que la fin peut faire mal. Cela permet tout de même une belle originalité en inversant dans la conclusion du récit le schéma classique du héros qui s’en tire de justesse face à un antagoniste dominant la situation.
Un point négatif tout de même par rapport à cette fin est le destin de la protagoniste, héroïne sans pouvoir, qui représente les auteurs de ces récits plutôt que les héros, et pour qui la conclusion est vraiment décevante. On a un mystère construit tout au long du récit, avec d’étranges voix dans sa tête qui semblent la pousser vers une destinée … qui se révèle à la fois ultra déprimante et sans la moindre envergure. Une fin négative peut être balancée de diverses façons, à travers un sacrifice volontaire pour sauver quelque chose d’important par exemple, transformant une défaite totale en quelque chose de plus nuancé, mais ce n’est pas le cas ici, pas du tout. Même si l’héroïne accepte son destin puisqu’elle se sent poussé vers lui, il n’y a rien de logique et le rebondissement qui l’amène est aussi probable qu’un renversement d’entropie.
Graphiquement on est plus dans le comics que dans la BD, c’est un choix volontaire, mais ce n’est pas là que vont mes goûts, je préférais Gess dans Carmen Mc Callum. Il y a tout de même de bons moments.
Au niveau des couleurs, c’est assez terne, là aussi de façon volontaire je pense car ça donne vraiment une ambiance morose et l’impression d’être sur un récit du passé. Il y a non seulement les tons sépias des vieilles photos, mais ça rappelle aussi les illustrations sur l’an 2000 faites dans les années 1900.
C’est rarement vraiment beau, mais c’est tout de même une réussite.
L’hommage qui est fait ici à la littérature du merveilleux-scientifique est quand même bien réussi. On se retrouve avec un univers très riche, une histoire originale, mais avec des racines dans notre littérature, et ça donne envie de découvrir ou redécouvrir une part de notre culture oubliée. C’était le but sans doute.
Même si je ne partage pas l’avis de Serge Lehman sur la raison principale du déclin des super-héros en Europe, puisqu’il me semble que la tendance existait depuis au moins cinquante ans avant la guerre, avant même que les super-héros n’apparaissent réellement donc, il est indéniable qu’il apporte une explication plausible. Lui-même ne prétend d’ailleurs pas qu’elle soit la seule.
C’est donc au final une œuvre très intéressante, pour peu que l’on s’intéresse aux super-héros, à la SF ou à l’histoire de la littérature française. Ça fait quand même de nombreuses bonnes raisons de lire La brigade chimérique.
Critique tirée de mon blog.