Lou, tu as grandi mais il te reste tant à apprendre

J'avais perdu espoir envers Lou! et Julien Neel. Après un tome 6 horrible et un film live atroce, l'auteur m'avait perdu dans ses délires et sa négligence artistique (les dessins de L'Âge de Cristal, les acteurs de Journal Infime etc...). Qu'on se le dise, je lis Lou! depuis le premier jour. J'ai encore le souvenir de ces deux couvertures du magazine Tchô réalisé par l'auteur pour les débuts de la série où Lou relookait Titeuf. J'étais tombé sous le charme de cette petite fille débordant d'énergie et d'imagination. A l'époque, j'avais 10 ans, aujourd'hui j'en ai 24. Lou! me suit donc depuis plus de la moitié de ma vie. Et comme moi, elle a grandit, changée, maturée. Mais si à l'époque, j'aurais adoré avoir Lou comme amie, aujourd'hui, je n'arrive plus à rentrer dans son univers.

Je vais quand même commencer par ce que j'ai adoré dans cet album : les dessins. Julien Neel a réappris à dessiner depuis L'Âge de Cristal et son trait n'a jamais été aussi beau. On retrouve la générosité qu'offrait la photo du film Journal Infime (une qualité que je peux lui accorder). Les cases fourmillent de détails et de couleurs, c'est un régal pour les yeux. La douceur et la vie que Julien Neel a toujours su mettre en page sont encore présentes. On notera même une impressionnante case occupant une page entière confirmant le talent d'illustrateur hors-pair de Julien Neel.

Et avec ça, le début du tome est un retour aux sources pour tous le monde. Se passant avant L'Âge de Cristal, Lou et ses amies retournent à Mortebouse pour se ressourcer et construire une cabane. On retrouve alors la fraîcheur de la série à ses débuts. L'auteur nous plonge ici dans des vacances d'été fantasmées telles qu'on aurait sûrement tous voulu vivre : la campagne, l'air frais, les retrouvailles avec les amis, une cabane à construire et aussi des couples mignons qui se forment au sein de la bande. Bon, malheureusement, ça n'empêche pas le récit de tomber dans des condescendances lourdingues à base de "olala on a pas de réseau, je sais plus rien faire" ou bien "ah on est bien là dans notre retour aux sources loin de la superficialité de la ville.". C'est gonflant.

Mais bon, c'est pas ça qui va freiner mon plaisir. On retrouve donc cette simplicité tantôt fantasmée tantôt authentique que j'ai adoré dans les premiers volumes. Je me dis "C'est la bonne, cette fois Julien Neel a pris la voie qu'il faut !"... mais ç'aurait été trop beau. Cet album rate le coche. Au fur et à mesure de la lecture, on sombrera dans des bons sentiments dégoulinants qui viennent anéantir le récit. Le thème ici sera l'Amour et si certaines histoires comme celle de Marie-Émilie ou de la grand-mère sont bien amenés (j'ai eu des grand-parents qui arrêtaient pas de s'engueuler donc ça m'a plutôt fait rire), on nage globalement dans la niaiserie la plus totale. L'histoire s'engouffre alors dans un marasmes de dialogues navrants et de mièvrerie lourdingue. Le summum est atteint lors d'une scène vers la fin où les personnages se rassemblent pour discuter d'Amour. S'ensuit une grande séance de philosophie de comptoir à deux balles à la limite du malaisant.

Si encore les personnages étaient là pour relever le niveau... J'ai apprécié Marie-Émilie qui est le personnage qui témoigne d'une véritable évolution parmi tous. Mais d'un autre côté, que dire de Mina qui tombe dans la caricature de l'ado attardé accro à son smartphone ? Que dire de Clément Fifrelin dont on aurait pu se passer ? Que dire de Tristan devenu insupportable offrant l'ado mal dans sa peau le plus mal écrit depuis longtemps ? Que dire de Richard qui... ah non, c'est vrai, ils partent le chercher au début, puis en fait non, on ne le voit pas et l'objectif est abandonné. Et que dire de tous ces personnages secondaires qui reviennent juste pour faire de la figuration ?...

J'ai eu un sentiment très mitigé après la lecture de La Cabane. Autant, j'ai apprécié revenir à ce qui fait la force de Lou! depuis bientôt 15 ans, autant j'ai l'impression de ne plus suivre Julien Neel comme aux premiers jours. Cherchant à présent à faire évoluer son récit vers quelque chose de plus philosophique, l'auteur s'aventure dans un domaine qu'il ne semble pas maîtriser. Trop de dialogues risibles, trop de personnages baffables, trop de bons sentiments à tout-va... Je ne me retrouve plus dans Lou!.

Peut-être alors que le problème vient de moi. Je ne suis sûrement plus la cible de Julien Neel. Après tout, l'artiste en est à près de 15 ans de carrière et il est normal que son style change. Ce style ne représenterait plus alors d'intérêt à mes yeux ? Mais alors, pourquoi ai-je quand même cette curiosité morbide de vouloir lire la suite ? Peut-être grâce à ce 'mieux' par rapport à ce que Julien Neel a proposé avant. La direction que l'auteur suit ne me plaît guère mais je la préfère largement à ses délires science-fictionnels dénués de sens qu'il avait proposé avec L'Âge de Cristal. Je ne me fais pas d'illusion non plus mais je trouve qu'il y a quelque chose à sauver de La Cabane. Je continuerais à lire Lou! ne serait-ce que pour les dessins, comme une Madeleine de Proust ou encore pour continuer à voir cette blondinette que je suis depuis si longtemps grandir.