Une planète qui explose, une carte magique, une force occulte liée aux Objets du Destin et … un triangle amoureux.


Peut-être le Donjon le plus sous-estimé de toute la série. S’il est vrai que le scénario peut paraître à première vue un peu léger (en gros, Marvin Rouge part chercher une carte et la trouve), il ne faut pas perdre de vue que cet album est inclus dans un cycle avec Armaggedon (DC103) et Le noir seigneur (DM4) et qu’à ce titre, il est totalement indispensable ! Pour s’en convaincre, lisez les deux albums susnommés sans lire celui-ci et vous vous rendrez vite compte qu’il vous manque des éléments de compréhension à l’intrigue globale.


Cet épisode est même carrément essentiel pour le background de Donjon car on y apprend des informations de première importance, notamment pourquoi Herbert est devenu noir (découverte de l’Entité Noire) ou encore quels sont les réels pouvoirs des devins de Divinascopus (fabrication de la Carte Majeure), en plus de découvrir un Objet magique de premier plan (la Carte Majeure) et un nouvel Objet du Destin (la Bague du Destin). Et comme en plus les péripéties de Marvin Rouge and cie. sont plutôt rigolotes (les prises de tête du trio Marvin Rouge – Nicole – Zakûtu, les moines Lézards qui découvrent les Chattes …) et que l’univers qui sert de cadre à cette aventure est sacrément cool (des bouts de planète en mouvement au-dessus du noyau de magma en fusion), on se n’ennuie vraiment pas à la lecture.


Le choix d'Andreas pour illustrer ce Donjon Monsters est très judicieux. Andreas est connu pour ses histoires de SF aux intrigues sophistiquées et aux scénarios alambiqués, dotés d'une structure narrative très inhabituelle; et pour sa capacité à exploiter au maximum toutes les possibilités graphiques de la bande dessinée, à travers son trait anguleux et surtout ses découpages audacieux - voire vertigineux - qui sont souvent d'une folle originalité. Personnages étranges, énigmes séculaires, objets magiques dotés de pouvoirs puissants, mondes mystérieux, dimensions parallèles ... jalonnent fréquemment ses histoires.


Aussi le scénario de cet album est-il taillé ad hoc pour l'artiste. Evénements cataclysmiques (l'explosion de la planète), monde étrange et nouveau en perpétuelle mutation (avec les îlots de Terra Amata en mouvement perpétuel et aléatoire autour du cœur incandescent de la planète), un mystérieux objet de pouvoir attirant toutes les convoitises (la Carte Majeure), des morts échappés de leur dimension qui reviennent peupler le monde (les anciens Porteurs de l'Epée du Destin), une force occulte liée aux Objets du Destin et à la destinée de la planète (l'Entité Noire), des séquences ésotériques (Orlondow le shaman communiquant par le feu), des bâtiments lugubres entourés d'une aura inquiétante (le temple qu’explore Marvin Rouge), de la baston façon SF à coups de laser dévastateurs (Marvin Rouge et ses fusils nitro) ... et surtout un album dont le scénario se déroule en parallèle de celui de deux autres albums, permettant des recoupements de séquences avec les titres en question, pour offrir une histoire complexe qui peut se lire de plusieurs manières, dans un ordre totalement aléatoire. Tout colle parfaitement aux thèmes de prédilection d'Andreas.


Graphiquement, Andreas se démarque également de tous ses prédécesseurs dans la série. Alors que quasiment tous les auteurs de Donjon jusqu'alors adoptaient un trait minimaliste, un peu hésitant et expérimental, certes très efficace mais pas forcément toujours très esthétique (Trondheim, Sfar, Blain, Menu, Larcenet), Andreas en met plein la vue avec son dessin racé, très soigné, donnant aux personnages et aux décors, pour la première fois dans la série, un caractère net, propre et élégant. Ajoutez-y le découpage le plus atypique et original de la série jusqu'alors (avec de nombreuses cases toutes en verticalité ou au contraire finement étendues sur toute la largeur de la page), et vous obtenez sans conteste le plus bel album de la série jusqu'alors. Un regret ? Qu'Andreas ne se soit pas autant lâché graphiquement que dans ses propres BD et l'ait en quelque sorte joué "petit bras" en se confinant à la charte graphique de Donjon. Certes le trait est propre et élégant, certes le découpage est original, mais si Andreas avait vraiment fait du Andreas, au vu du scénario que lui ont proposé Sfar et Trondheim, nul doute que l'album aurait pu être encore plus hallucinant visuellement.


Ce Donjon Monsters est souvent sous-évalué par les fans, qui ne le placent généralement pas parmi les meilleurs de la série. Peut-être que la compréhension de l'œuvre d'Andreas (un maître incontesté de la SF) et la connaissance de ses thèmes de prédilection (en totale adéquation avec l'univers décrit dans cet album) s'avéreraient utiles pour réparer cette injustice.

_minot_
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le 21 mars 2021

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