Le juge Trévidic le soulignait début octobre 2015 : "c'est inéluctable".


Et pourtant…La Cellule, de part le travail de fourmis qui a été réalisé par les auteurs, montre à quel point les policiers, services de renseignements et autres acteurs ont été à la fois si près...mais si loin. Parfois à un jour de tout arrêter, parfois à une photo, à un téléphone près, à une rue. Face à l'inéluctable, ils n'ont jamais abandonné.


Soren Seelow (Le Monde), Kévin Jackson et Nicolas Otero livrent, avec La Cellule, un récit glaçant mais d’une profondeur étonnante sur le “convoi de la mort” (comme l’appellera l’un des membres de la cellule).
La foule de documents auxquels les auteurs ont pu accéder font de ce récit l’une des oeuvres références sur ces attentats, mais aussi ce qu’a pu être l’EI et ses méthodes. Voyageant entre France, Belgique, Athènes et la Syrie, nous entrons dans les entrailles d’un projet dont une grande partie aura tout de même échoué (la cible Stade de France semblant être le point d’orgue théorique)


Gestion de la "crise" migratoire, manque de moyens des services de renseignements, manque de collaboration entre les polices et les fichiers, La Cellule dévoile aussi tous les manques dans la coopération européenne (et mondiale) sur ce projet, mais ne tombe jamais sur les protagonistes. Les Hommes de ces services ont mis tout ce qu’ils avaient pour trouver, chercher, arrêter, suivre, filer, décortiquer les échanges. La Cellule livre un portrait remarquable de ces agents de l’ombre capables de tirer d’une discussion sur des chats, une piste de projet d’attentat. Si La Cellule est aussi richement documentée et si nous pouvons en savoir autant sur les parcours des terroristes, c’est par leur travail.


Porté par des milliers de pages d’échanges de mail, de textos, de compte-rendu, les 240 pages sont servies par une vraie qualité graphique. Les traits des visages sont fidèles et donnent à voir l’état d’esprit de chacun tandis que les couleurs d’ensemble sont bien ternes, rappelant la lourdeur du sujet. Plus le point de bascule approche, plus les couleurs tendent à disparaître ne laissant qu’une palette grisâtres seulement rehaussée par une paire de baskets orange.


Le récit est particulièrement dynamique grâce à une construction sous forme de course-poursuite. Un jeu du chat et de la souris qui, au fur et à mesure, voit malheureusement la souris s’échapper. Il est terrible de voir que les services, le temps passant, s’éloignaient de leur cible. Quelques photos, documents, discours, pages de journaux viennent ponctuer le récit afin de replacer le contexte de certains moments clé (début des frappes de la coalition, réunion au sommet, etc.)


La Cellule ne tombe jamais dans le mélo ni dans le voyeurisme, ainsi la nuit des attentats ne fait pas partie de cette histoire. Elle est un point de bascule marquée par une double page noir. Le parcours macabre avait commencé bien avant.
La liste des noms des victimes laisse néanmoins un sentiment d’une tristesse infinie, encore plus quand on sait que le tout ne tenait qu’à un fil. Car comme souvent, on se rend compte après, que nous avions tout sous les yeux. Comme lors du 11 septembre, les pièces de puzzle étaient là, mais chacun n’avait accès qu’à une partie.


Le récit est froid, descriptif et sans aucune opinion ni posture idéologique. Les faits se suffisent entièrement à eux-mêmes. Les postures “enquête” et “investigation” conservées tout au long du récit sont nécessaires pour nous, lecteurs, afin d’apprécier les faits dans leur contexte, d’en comprendre la portée et les conséquences.


Se replonger dans cette histoire peut faire mal et la froideur du récit pourrait déranger, mais elle vient servir une vraie posture d’enquête dans un récit maîtrisé et qui permet à chacun d’avoir des réponses. Si comprendre pourquoi est peu utile tant l’acte est irrationnel, en découvrir le comment par le déroulé démontre toute la difficulté du travail des services de renseignements. Le comment met aussi au ban les discours de “y’a qu’à faut qu’on” et souligne l’absurdité de certains argumentaires sur l’immigration, l’assimilation, etc.


Une enquête nécessaire et approfondie, un travail faramineux pour rendre compte d’une course-poursuite macabre et hors du commun.

Halifax
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le 24 sept. 2021

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