Le paratexte de Maldoror

Une question de premier plan traverse de bout en bout la lecture de cet album : Les tribulations d'Auguste Bretagne sur les traces du Comte de Lautréamont seraient-elles aussi plaisantes sans l'entreprise de mystification mise en place par les auteurs ?

La couverture de l'album et sa préface donnent le ton. Le scénariste Corcal et la dessinatrice Edith ne seraient que des prête-noms pour la publication du premier roman graphique conçu en 1874 par le feuilletoniste Auguste Bretagne et l'illustrateur Eugène de T.S. Roman graphique ? Les promoteurs de cet nouvelle forme d'art évoquent plutôt "une figuration poético-narrative"!

A l'appui de cette découverte qui bouleverse l'histoire du 9e art, les auteurs s'adjoignent les services d'un Maître de conférences, Bernard Maisonnet, dont les recherches ultérieures annexées en postface prouvent que la dite œuvre relève finalement de la fiction autobiographique. En effet, la conception du roman graphique daterait en réalité de 1921, fruit des errances nostalgiques d'Auguste Bretagne et de sa rencontre avec André Breton et les surréalistes parisiens.

A ce stade, seuls les lecteurs les plus inattentifs douteraient encore de l'entreprise de Coral & Edith. Il s'agit bien d'un réjouissant exercice stylistique, prétexte à revisiter le milieu littéraire de la fin du XIXe siècle. Un paratexte fictionnel abondamment documenté afin de donner davantage de relief à un récit qui conjugue par ailleurs trip hallucinogènes au peyotl, paléophone reproduisant la voix humaine, chambre suspendue dans les airs et séances du cercle des poètes zutiques.

Faisant fi de la réalité historique, les auteurs mêlent fantaisies narratives et personnages bien réels parmi lesquels Arthur Rimbaud, Isidore Ducasse lui-même – Comte de Maldoror – Charles Cros ou Paul Verlaine, afin de produire un bel hommage aux feuilletons fantastiques de cette fin de siècle.

Ni pastiche, ni parodie, le canular mis en place séduit par sa générosité et son amour du genre littéraire qui l'inspire. Mention spéciale au génie prophétique du peintre Eugène T.S qui réalisa en 1899 sous l'empire de l'absinthe la toile "Nature morte au Coca cheeseburger" avant de fonder le groupe des Futurophobes (^^).