Derrière la vitre
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Pour des raisons qu’on s’explique toujours encore assez mal, le genre de la science-fiction attire peu d’auteurs féminins. On retient en général comme principale raison derrière cet écart la froideur technique du domaine qui rebuterait des personnalités souvent plus enclines à dépeindre les relations humaines que les prospections techno-scientifiques, même quand celles-ci focalisent sur l’exploration de l’influence des progrès scientifiques sur les systèmes sociaux – pourtant le signe d’une science-fiction qui prétend à une certaine qualité (1). On peut malgré tout citer Octavia E. Butler (1947-2006), Marion Zimmer Bradley (1930-1999) ou Ursula K. Le Guin parmi les écrivains les plus importants du genre.
Si le travail de Hisae Iwaoka n’évoque en rien, ou si peu, celui de ces illustres prédécesseurs, cette courte série n’en brille pas moins par ses immenses qualités narratives empreintes d’une profonde humanité. Loin d’une action constante menée plus ou moins tambour battant, telle qu’on pourrait attendre d’auteurs bien moins inspirés, La Cité Saturne se focalise au contraire sur des tranches de vie au sein d’un habitat qui évoque certaines des visions les plus folles d’un Arthur C. Clarke (1917-2008). Car dans ce futur en fin de compte tout à fait possible, les luttes de classe restent d’actualité, et notamment à travers une division en trois « étages » de l’anneau dont le premier accueille les plus pauvres alors que les plus riches habitent le dernier.
Comme il se doit, et en raison même de son métier, Mitsu compte parmi les prolétaires de ce futur pas si différent de notre présent. La vie, en effet, ne lui laisse pas d’autre choix que d’inscrire sa voie dans celle de son père disparu en exerçant un travail aussi pénible que dangereux puisqu’il consiste à arpenter la surface extérieure de l’anneau, là où des vents violents et des micrométéorites constituent les moindres maux. Pourtant, c’est encore là que les différentes classes sociales se mélangent le plus : à travers les vitres des immenses fenêtres qu’il nettoie jour après jour, Mitsu noue parfois des relations aussi étranges qu’inattendues avec des gens d’un statut souvent bien plus élevé que le sien.
À partir de ces contacts, parfois fugaces, parfois durables, le jeune garçon se forge une vision du monde d’où sa nature aimable et bienveillante sort renforcée, ce qui peut étonner mais contribue surtout à le rendre attachant – le développement d’un personnage, après tout, ne signifie pas toujours que celui-ci doit passer d’un extrême à l’autre… Mais c’est aussi l’occasion pour l’auteur de dépeindre une société future où les plus nantis, en fin de compte, ne s’estiment pas forcément les plus chanceux, et chacun d’entre eux pour leurs propres raisons, ce qui nous ramène encore une fois à notre propre présent. Les deux derniers volumes, d’ailleurs, donnent l’occasion de voir que les plus gros problèmes ne viennent pas toujours d’en haut…
Mais il ne s’agit là, pour l’essentiel, que du dénouement de récits somme toute assez annexes. Car en fin de compte, pour ses accents poétiques que complimente à merveille un trait à la limite du naïf, dans le sens le plus pur du terme, La Cité Saturne s’affirme comme une œuvre certes singulière et inattendue mais surtout bienvenue : en évitant avec adresse les écueils de la dystopie comme les grondements des machines, deux thèmes propres à la science-fiction mais dont on connait les limites depuis longtemps, elle nous offre un récit à la sensibilité profonde qui ne laisse pas indifférent et continue à habiter son lecteur pour longtemps.
(1) pour le rapport entre science et société dans la science-fiction, lire l’article « Social Science Fiction » d’Isaac Asimov au sommaire de « Modern Science Fiction: Its Meaning and Its Future » (New York: Coward-McCann, 1953) ; lire un exemple dans l’article « Asimov’s Three Kinds of Science Fiction » sur le site tvtropes.org (en).
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Créée
le 2 janv. 2016
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