La Conférence
5.9
La Conférence

BD (divers) de Mahi Grand (2022)

Adaptée d’une nouvelle de Franz Kafka (Rapport pour une Académie – 1917), dessinée et mise en scène par Mahi Grand, cette histoire raconte la transformation d’un grand singe en homme, pour retrouver autonomie et dignité.


Cet homme sans nom se prépare pour une conférence qu’il doit donner devant les membres de l’Académie des Sciences. De chez lui, il commence à réfléchir à ce qu’il va pouvoir dire à ces hommes (aucune femme dans l’assistance). Enfin, face à l’assemblée, il décide de se livrer sans retenue, de façon à donner la meilleure idée possible de ce qu’il est, de ce qu’il a été, comment et pourquoi tout cela advint.


Origines


Son aspect du moment ne donne qu’une vague idée de ce qu’il fut, sauf dans l’aspect général de son visage qui d’ailleurs conserve une cicatrice révélatrice. Capturé à l’état sauvage au cœur de l’Afrique alors qu’il se désaltérait avec son clan, il fut acheminé vers le vieux continent par bateau. Un voyage long et pénible auquel il aurait très bien pu ne pas survivre. En effet, il fut d’abord enfermé dans une simple caisse où non seulement il ne pouvait pas bouger, mais où il ne pouvait pas non plus adopter une position supportable (debout, assis ou couché). Au lieu de cela, il resta bien longtemps accroupi, avec comme seul horizon une fente dans le bois lui permettant d’apercevoir l’extérieur. Heureusement, il fut ensuite transféré dans une cage avec des barreaux. Et c’est probablement cette évolution de sa situation qui l’a incité à rechercher une voie lui permettant d’accéder à une condition supportable, sans pour autant obtenir la liberté, une notion qui lui est finalement assez étrangère, voire incompréhensible.


Adaptation


En adaptant Kafka, le dessinateur Mahi Grand entre dans un phénomène que l’édition encourage, puisque de nombreux romans arrivent désormais sous forme de BD. Le premier avantage est de donner un second souffle à la littérature en mettant un certain nombre d’œuvres à la portée d’un public qui sinon les ignorerait. L’autre avantage est le choix de scénarios tout trouvés pour des dessinateurs qui en éprouvent le besoin. L’inconvénient, c’est qu’on adapte probablement un peu trop, pour un résultat plutôt aléatoire, pour la simple raison que l’essence d’un roman, c’est du texte. Exemple flagrant avec La Conférence, car il s’agit quand même d’un discours prononcé devant une Académie très sérieuse, même si l’époque et le pays ne sont jamais précisés (à vue de nez, on imagine l’Angleterre). Le dessinateur est ainsi amené à multiplier les angles de prises de vues, les plans plus ou moins serrés ou au contraire assez larges, pour ne pas lasser son public, comme le ferait un cinéaste ou réalisateur TV en pareil cas. Il s’en tire plutôt bien, donnant à sentir le lieu où se tient la conférence. Heureusement, en détaillant les souvenirs de son personnage, il permet à l’action de franchir une étape. Ceci dit, l’enfermement persiste, y compris dans l’activité que le personnage explique avoir choisie pour survivre de façon acceptable.


Le processus d’évolution


L’intérêt et l’originalité de l’histoire est de décrire sur une période de quelques années l’évolution du personnage qui passe du singe à l’homme, illustrant en accéléré tout le processus imaginé par Darwin. La subtilité, c’est que ce personnage conserve en lui quelque chose de simiesque et qu’il s’adresse à une assemblée pour conclure en leur affirmant que chacun d’entre eux conserve également quelque chose du singe. On peut ainsi se demander quelle part animale renferme un être humain. C’est d’autant plus subtil que l’épilogue nous montre notre conférencier dans son activité habituelle. Il semblerait qu’il gagne davantage sa vie en faisant le singe qu’en produisant des réflexions philosophiques ou scientifiques. On en conclue donc que se donner en spectacle, quelle que soit la manière, se révèle plus lucratif et apprécié que de se donner du mal pour comprendre la nature humaine…


Réussite partielle


Petite incertitude, il m’est impossible de dire dans quelle mesure cet album est ou non une bonne adaptation du texte original de Kafka (pas lu). Quant au dessin, la première planche donne l’impression de contempler un dessin de Sempé, ce qui peut être volontaire puisque l’album ne manque pas d’humour. La suite montre que l’auteur a son propre style (agréable), sans trop de fioritures (décor souvent minimaliste), avec des couleurs douces dans l’ensemble. Mahi Grand aime proposer des planches dont on profite d’un seul regard, quitte à placer du texte sur plusieurs zones. Finalement, bien que cet album soit l’adaptation d’un texte, il se lit plutôt rapidement. Ce qu’il y a de mieux à signaler provient du texte. Tout ce qui est dessiné ne démérite pas, fort heureusement. Ceci dit, le résultat final est quand même un peu bancal du fait que l’album ne dépasse jamais le cadre de l’adaptation d’un texte et qu’il manque d’action sur une bonne partie.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 18 mai 2022

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