Le scénario de "la Désolation" est peut-être l’un des plus originaux, voire l’un des plus saisissants lus – mais également vus (…au cinéma, dans une série TV…) – depuis longtemps, et rend la lecture de la BD d’Appollo et Gaultier tout à fait indispensable. Bien entendu, il convient d’en révéler le moins possible pour ne pas gâcher l’effet de sidération lorsque le récit assez tranquille d’une visite touristique, ou presque (notre protagoniste traverse une période de remise en question suite à une déception sentimentale et est tenté par « l’aventure »…), des îles Kerguelen bascule dans une situation beaucoup plus dramatique que prévu, littéralement inimaginable…
Mais, au-delà de son excellent sujet, "la Désolation" a bien d’autres atouts pour lui : d’abord son cadre inhabituel, peu vu lui aussi, ces fameuses îles désolées et inhospitalières, situées à la lisière de l’Antarctique, mais aussi son personnage principal, réunionnais et…noir ! Et c’est là que le lecteur se doit de faire une pause pour réfléchir : de quand date la dernière fois qu’il a lu une BD française dont le protagoniste principal n’était pas… blanc ? C’est avec une certaine honte qu’il doit reconnaître qu’il ne s’en souvient probablement pas ! De quoi se poser la question sur l’ethnocentrisme du 9e Art, à l’heure où la télévision et le cinéma évoluent enfin !
Enrichi par un très beau dessin, sombre et précis, qui évoque parfaitement et le climat dur des Kerguelen et l’atmosphère horrifique de l’aventure d’Evariste, et qui pourra rappeler – gros coup de cœur pour nous – celui d’un Loustal – "la Désolation" nous questionne sur la nature de notre propre humanité, mais aussi sur la radicalité potentielle de nos réponses à la crise climatique… Jusqu’à une conclusion sèche mais impitoyable : un véritable uppercut.
"La Désolation" s’avère un livre remarquable, qui marquera certainement notre année 2021 de Bandes-Dessinées.
[Critique écrite en 2021]