La Digue
6.5
La Digue

BD franco-belge de Éric Corbeyran et Lionel Papagalli (Alfred) (1998)

J'aime les créateurs d'univers. Abraxas m'avait déjà permis d'apprécier tout le talent du tandem Corbeyran-Alfred dans ce genre d'exercice. Ils y apprivoisaient l'horrifique et le macabre pour nous les rendre féeriques à la manière d'un Tim Burton. Cette nouvelle œuvre résonne d'un ton et d'un traitement légèrement différents et ne manque pas d'évoquer le gigantesque Terry Gilliam et son non moins gigantesque Brazil.

Une digue qui ne vient de nulle part, qui ne va nulle part, et sur laquelle poussent, de-ci de-là, quelques bourgades ou édifices comme autant d'anomalies au bon déroulement de sa construction. En constante progression et sans but réel, si ce n'est de se justifier à elle-même, elle est le noyau gravitationnel d'un micro système dévoué à sa seule cause, avec ses règles aussi absurdes qu'inflexibles. Une société sclérosée d'où émerge Paul, un jeune homme condamné pour outrage aux bonnes mœurs et qui pour sa peine doit rejoindre le musoir. Avec le début de son aventure, c'est l'espoir qui renaît peut-être...

Dans la bande dessinée, la littérature ou tout simplement de façon intrinsèque, l'architecture sert souvent de support métaphorique à la philosophie. Et si La digue peut également se concevoir comme une longue allégorie hétéroclite, je pense que tout le plaisir qu'elle délivre s'inscrit avant tout dans l'exploration de son monde linéaire si particulier et dans la découverte des mœurs de ses habitants étranges. Une immersion totale, intense, qui demande pour fonctionner, de renoncer implicitement à toute remise en cause de ses bases et de ne pas rechercher coûte que coûte une explication cartésienne définitive. Je ne suggère pas non plus qu'il faille ignorer le côté allusif et les non-dits. Ce serait se priver bêtement d'une ivresse supplémentaire. Mais il n'existe pas, à mon avis, de philosophie implacable et chacun en ira de sa petite lecture, de ses propres réflexions et de son ressenti intime.

Quelle jubilation de s'évaporer dans cette fable contemporaine aux accents kafkaïens d'une loufoquerie et d'un onirisme tellement subtils ! Un bonheur décuplé par la fascination que procure le dessin. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le trait d'Alfred, ici en noir et blanc, possède une très forte identité visuelle et une puissance évocatrice remarquable. J'adore.

In-dis-pen-sable !
Sejy
8
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le 19 août 2011

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Sejy

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