La lecture de n'importe quel livre du grand Tezuka, quelle que soit sa place dans la hiérarchie qualitative de sa bibliographie, réserve au lecteur son lot de surprises et d'émerveillements. Avec "la Femme-Insecte", c'est l'audace et l'originalité du thème qui sidèrent tout d'abord, et ce d'autant que notre culture occidentale associe mal un dessin rond et "enfantin" avec un sujet aussi complexe et sombre : une femme, génialement manipulatrice et capable d'absorber l'essence même de ses partenaires (sexuels), réussit une ascension sociale sidérante, non sans voler littéralement le travail de des victimes ! Et bien entendu, le talent de Tezuka est de rendre cette femme monstrueuse aussi attirante physiquement (beaucoup de scènes de sexe, évidemment soft) que touchante émotionnellement, grâce à un mélange complexe de vulnérabilité (elle est facilement victime - au moins dans un premier temps - des hommes / prédateurs de la société japonaise), de confusion mentale (son repli embryonnaire dans le foyer maternel, assez semblable à celui du "héros" de "Profit") et de froide détermination (sidérant moment quand elle incendie ce fameux foyer-refuge pour conquérir une nouvelle liberté). Tezuka nous ballade en outre dans le monde de l'art, de la littérature, de la pègre et de l'anarchisme, pour finir avec celui des affaires, évidemment le plus cruel de tous, et nous montre que, aussi dérangée que soit son héroïne, il lui en reste toujours à apprendre de ses semblables en matière de vilenie et de perversité. Les amoureux de la belle forme se raviront également devant la construction souvent aussi magnifique qu'efficace des cases et des pages, qui permettent à Tezuka de varier à l'extrême les points de vue qu'il offre sur ses personnages et les situations, avec un sens de la narration impressionnant. [Critique écrite en 2016]