Quand un titre s’avère aussi alambiqué et bêtement lyrique que peut l’être celui d’un film français, vous saurez par avance que le contenu sera tout aussi présomptueux et gavant. Mieux fait, c’est entendu ; mais pour servir la même finalité, à savoir que son auteur se regarde le nombril en le présentant comme un tout dont nous serions, nous lecteurs, une partie intégrante. Or, La Fin du Monde avant le Lever du Jour, on ne pourrait pas en être plus au dehors que si on conserva le tome résolument clos tout du long de notre lecture.
C’est un recueil d’histoires courtes. D’un chapitre généralement, bien que trois d’entre elles soient liés par un sang commun. Il n’y a jamais moyen de franchement développer une histoire complète en une vingtaine de page, l’exercice ne s’y prête pas. Aussi, je reconnaîtrais au moins cela à Inio Asano, savoir créer des personnages et les approfondir ce qu’il faut en si peu de temps, est un mérite que rares sont à même de revendiquer. On le considère certes comme acquis à la lecture, mais un regard plus attentif nous astreint à la révérence pour ce domaine.
Oui, Inio Asano sait écrire ses personnages, ses preuves sont faites. L’inconvénient tenant à l’inanité du procédé. L’auteur, ici, échafaude un bâtiment savamment construit pour que celui-ci ne soit jamais habité.
Les histoires courtes s’enchaînent, toute ayant trait à un relatif ou absolu malaise de Japonais contemporains. Ils ont tous – à l’exception d’un – des âges variant entre celui de lycéens et de jeunes adultes, et chacun, à sa manière, se veut un avatar de son auteur. Avec quelle assurance puis-je prétendre cela ? En arguant et en brandissant Errance, ce manga où Inio Asano s’y sera transposé sous un autre nom. Cet homme aime à parler de lui. Constamment.
Qu’un des personnages soit un jeune mangaka ayant l’exacte même tête de son auteur n’aide pas franchement à dissocier le dernier de ses créations. Il a accouché sur papier – et sans ordre – les névroses modernes qui, sans doute, lui traversèrent l’esprit à un instant donné de sa vie. La solitude, notamment, nous tiendra compagnie, ici présentée sous divers oripeaux.
La plupart de ces histoires connaîtront une fin heureuse, ouverte sur des promesses de lendemain meilleure. Le Lever du Jour présume un renouveau, celui d’un Monde meilleur succédant à celui qui s’est fini la veille. Certains seront peut-être sensibles à ces courts récits tournés vers le nulle part, je suppose qu’il faut avoir la fibre. Quand le cerveau prend le pas sur le cœur, on voit ce qu’il y a à y voir et on peine ressortir repu de la lecture.
Ces vies qui nous passent devant les yeux sont toutes faussement mélancoliques, néanmoins bien écrites et présentées à nos regards. Inio Asano a prouvé être capable de nous interpeler par des effets de manche pour révéler qu’il n’avait à nous montrer tour en s’accaparant notre regard. Prenez La Fille de la Plage, ça ne parle de rien, mais ça nous en cause éloquemment. La formule, il la maîtrise, mais une fois récitée, aucune magie n’advient.
Nous sommes témoins d’une série d’introspections contemplatives dans la tête des gens qui passent, de ceux que l’on voit attendre le train, qui traversent les rues bondées, et à qui on ne prête jamais attention. J’imagine que le procédé est bien foutu, mais pas suffisamment pour que je m’intéresse à eux. Peut-être que ça vient de moi. Peut-être que, ça ne vient pas que de moi. Je lui reconnais son habileté dans la mise en scène et l’écriture, à Inio Asano. Toutefois, celles-ci s’avèrent rarement tournées vers un objectif donné.
Sans doute suis-je cartésien à outrance, mais quelque part entre le script et son déroulé, il manque un propos à chaque histoire et cela me perturbe. Ça se donne des airs. Peut-être n’est-ce pas l’effet espéré, mais de l’air, ce recueil en est bouffi.
Vînt une remarque que je me suis faite au détour de l’ennui que me suggéra la lecture ; nous ne suivons presque principalement que l’aventure de bels gens. Outre le père en vadrouille, on ne sera témoin que des tourments de bien belles personnes. Le cheptel de personnages secondaires est pourtant truffé de badauds aux traits disgracieux. Pourquoi ne serait-ce pas leur épopée à eux que nous suivrions ? La misère est moins pénible au soleil et les menus-drames du quotidien, apparemment, se digèrent mieux lorsqu’ils sont le fait d’individus aux traits convenables.
Dans le même registre, quoi qu’avec un propos cette fois, Ushijima, l’usurier de l’ombre frappe plus juste, analyse plus exactement le sujet sur lequel il place la focale ; il est incisif dans virer misérabiliste ou esthète de la froide et quiète mélancolie. On s’y croirait.
Or qu’on se sente tant en dehors des histoires de La Fin du Monde au Lever du Jour contribue justement à faire de nous des étrangers à ses histoires qui, si elles ont une queue et une tête, ne semblent rien avoir entre.
C’est trop mièvre pour être « Feel Good », et ça ne finit pas toujours sur une note positive, aussi ce procès que je comptais faire à l’œuvre est ajourné. On force le fatalisme jusqu’à la résignation. La Fin du Monde avant le Lever du Jour est une série de haussements d’épaules indécis qui, à force de se perpétrer, résolvent ou non une situation donné.
Que dire d’une œuvre qui ne cherche justement rien à nous dire ? Je suppose que ce manga se vit davantage qu’il se lit. Mais il se vit passivement, comme on attend le train, comme on traverse les rues bondées, machinalement, sans y prêter garde, davantage par contrainte que par volonté, mais d’une contrariété si plate qu’on ne la retient même pas.