On aimerait ne pouvoir dire que du bien de "la Nueve", tant son sujet - le parcours des républicains espagnols chassés de leur pays par la victoire du franquisme, et leur rôle dans la libération de la France - est original, et pourtant important dans le contexte d'amnésie générale (et sélective : "Vae Victis !") qui caractérise notre époque. Malheureusement, et objectivement, les défauts du - gros - livre de Paco Roca sont réels : d'abord, il y a ce manque de caractérisation graphique des personnages, qui fait que l'on a beaucoup de mal à suivre l'action et l'évolution de chacun au milieu du chaos continuel des combats et des changements politiques... d'où un côté presque fastidieux de la lecture de nombreux chapitres de la "Nueve" (les chapitres "africains" en particulier), où l'on se sent peu "impliqué" émotionnellement. Ensuite, et c'est sans doute plus grave, l'ambiguïté fondamentale du procédé : au final, s'agit-il ici de véritables mémoires d'un personnage réel, de souvenirs recueillis par l'auteur / interviewer mis en scène dans les scènes contemporaines qui accompagnent le récit -, soit un modèle qui a donné naissance à plusieurs chefs d'oeuvre de la BD "historique", on le sait -, ou au contraire d'une tentative de singer, voire de récupérer le capital de sympathie que ce procédé génère ? Le doute devient permis quand on tombe sur le "coup du destin" final, qui constitue d'ailleurs le couronnement remarquable du livre, avec le retour inattendu de la tragédie individuelle au sein de la tragédie collective qu'est la guerre : trop romanesque pour être vrai ? On sort en tous cas de "la Nueve" avec un mélange gênant d'admiration, d'ennui et de doutes. Bref, on est quand même assez loin du chef d'oeuvre qu'on aurait pu espérer. [Critique écrite en 2014]