Le père des Blancs sait à présent que ses fils Rouges sont innocents du crime qui a causé la guerre... Les tuniques bleues ont eu beaucoup de torts. Les Apache aussi... Le sang doit cesser de couler et le chef des Blancs est prêt à parler de paix, d'égal à égal avec Cochise ! Trop de braves, déjà sont morts dans chaque camp... Mais ce n'est rien auprès de ceux qui mourront, si, refusant une paix sage et glorieuse, les Apaches affrontent à nouveau les tuniques bleues.
La Piste des Navajos en tant que cinquième épisode des aventures de Blueberry s'articulant autour des premières guerres indiennes connaît enfin son dénouement après quatre premiers volumes mouvementés comprenant : '' Fort Navajo, Tonnerre à l'Ouest, L'Aigle Solitaire, et Le Cavalier perdu. '' Jean-Michel Charlier et Jean Giraud dit Moebius, atteignent avec ce volume une étape importante autour d'un processus de maturation qui va consolider une légende qui installera définitivement Blueberry dans le décor de la bande-dessinée avec une renommée internationale. Un pari gagné pour Charlier qui avec cette conclusion acquiert autour de son personnage une popularité suffisamment grande pour poursuivre son aventure durant des décennies. Cinq tomes qui ensemble forment une seule et même histoire qui pose une base statique décemment robuste pour encaisser ce qui deviendra une impressionnante saga qui mettra à l'honneur le western à la française.
L'histoire reprend là où elle s'était conclue dans Le Cavalier perdu, avec le lieutenant Mike Blueberry, le vieux Jim Mac Clure et le renégat Crowe qui chevauchent en direction de la Sierra Madre après la frontière mexicaine pour rencontrer le grand chef indien Cochise qui s'est entouré de toutes les tribus de la puissante nation Apache comprenant les Mescaleros, les Jicarillas, les Tontos, les Navajos, et les Chiricahuas. Sur le sentier de l'ultime guerre contre les tuniques bleues commandées par le général Crook du fort Bayard, Cochise attend les armes et les provisions promises par le gouverneur mexicain Armendariz, guidé par Quanah-n'a-qu'un-oeil dit '' Aigle Solitaire ''. Une ultime charge en réponse à une terrible confusion ayant mis un terme à la paix alors que depuis le début le trouble n'est imputable ni aux Apaches ou autres Navajos, ni aux soldats américains malgré qu'ils aient gravement enflammé la situation, mais aux Mescaleros venus du Mexique. Une effrayante confusion à l'origine de nombreux morts que Blueberry veut absolument stopper en négociant directement avec Cochise après avoir révélé au grand jour les véritables coupables auprès du président des États-Unis qui lui a ordonné de tenter un ultime pourparler avant que la charge finale ne commence. Seulement, le trio est poursuivi par le gouverneur mexicain ainsi que Quanah-n'a-qu'un-oeil qui refuse qu'une nouvelle paix voit le jour.
Avec La Piste des Navajos, Jean-Michel Charlier propose un dénouement saisissant qui va sortir de son labyrinthe d'intrigues pour toutes les relier dans un schéma narratif tendu et désespéré où Blueberry va continuellement faire face à des situations extrêmes qu'il dépassera grâce à sa vaillance, sa ruse, ses alliés et beaucoup de chance. Le récit déploie toute son intelligence en accélérant progressivement son déroulé entre de terribles pertes inattendues qui posent un contraste gravissime avec la perte violente d'un personnage important, et des actions simultanées habilement gérées qui trouveront une résultante surprenante lors d'une séquence d'infiltration extraordinaire. Une longue scène où Blueberry accompagné de Jim Mac Clure va devoir s'infiltrer dans un village tenu par Armendariz afin d'accéder à la mine de San Feliu où se trouvent les fameuses munitions et les vivres pour Cochise. Un chapitre habilement entretenu qui favorise une atmosphère oppressante avec des élans de tensions grandioses (comme durant la scène de l'escalade), qui trouvera un dénouement explosif remarquable. Un album habilement géré autour d'une longue histoire qui aura tout au long des cinq tomes pris son temps dans son élaboration afin de poser un contraste solide ainsi qu'un développement dramatique à la hauteur, pour finalement rusher la conclusion de son histoire dans les dernières pages. Mais pourquoi ?
Adieu vieux frère ! Dors tranquille ! Je finirai ce que nous avions commencé ensemble ! Et même si je dois descendre jusqu'en enfer, je trouverai Quanah... Et je te jure, que je reviendrai un jour accrocher le scalp de ce Coyote sur cette tombe !
Que dire de cet acte final en demi-teinte qui n'est pas mauvais mais qui est totalement et gravement survoler. C'est simple, entre le moment où Blueberry rencontre enfin Cochise pour négocier la fin de la guerre comprenant le duel final tant attendu entre Blueberry et Aigle Solitaire, et enfin un retour à la paix, il n'y a que deux pages recto-verso. Le combat final ne dure que cinq cases ce qui est incompréhensible alors que depuis trois albums les deux hommes n'ont eu de cesse de se confronter à travers une terrible dualité qui aurait dû s'achever en apothéose. Les pourparlers sont expédiés ! On nous prive d'une véritable conclusion où on assiste ni au retour à la paix, ni à la fin de la guerre entre les tuniques bleues et les Indiens. Nous sommes même privés des retrouvailles entre Blueberry, le lieutenant Craig et Miss Dickson qui sont totalement absents. On ne voit même pas la réaction du général Crook (pourtant le premier concerné par cette guerre) devant la réussite de Blueberry à ramener Cochise au Fort. Un choix déroutant qui interroge surtout après tant d'efforts dans le développement narratif, si bien qu'il est regrettable qu'après cinq albums de qualité on n'est pas droit à une conclusion à la hauteur. Finir sur une touche amère totalement précipitée c'est vraiment regrettable, surtout que tout ce qui entoure La Piste des Navajos est excellent.
Techniquement, il y a du niveau et des améliorations. Jean Giraud dit Moebius trouve enfin un coup de crayon quasi parfait avec des visages correspondant enfin d'une case à l'autre. Les dessins sont mieux disposés et plus nets avec de nombreux détails. Les cadrages sont inspirés et certaines mises en scène sont beaucoup plus inventives. La fameuse séquence de l'escarpement de la montagne pour accéder à la mine avec la fameuse descente en rappel dans le trou du Diable est d'un esthétisme remarquable. Des plans astucieux avec des images remarquablement travaillées et des vignettes magnifiées qui montrent la maîtrise artistique de Giraud qui ne cesse d'affirmer progressivement son talent esthétique. Un superbe travail qui augure du positif pour tout ce qui reste à suivre. Jijé a de qui tenir !
Pour ce cinquième volume on retrouve des personnages toujours aussi intéressant à commencer par l'indomptable, brave et aguerri Lieutenant Mike T. Blueberry, qui ici doit faire face à la mort d'un frère d'armes ce qui le pousse à tenter plus d'une fois l'impossible en prenant de nombreux risques pour enfin mettre un terme à ce merdier, qui depuis cinq tomes ne fait que le conduire à plus de risques. Il semble bien loin le temps où Blueberry refusait de prendre un risque si la mort était inévitable, aujourd'hui il prouve son évolution à travers une détermination inébranlable. On retrouve Crowe, le métis véritable héros sacrificiel prêt à se sacrifier pour sauver la paix entre les deux peuples dont il est issu. Un personnage passionnant qui porte un lourd fardeau sur ses épaules et qui va trouver en Blueberry un frère qu'il tentera d'aider jusqu'au bout. Le vieil alcoolique Jim Mac Clure alias "Cou-de-cuir" est toujours aussi amusant qu'étrange et sera d'une grande utilité dans ce conflit. On redécouvre un personnage que j'aime beaucoup avec le capitaine Finlay de l'ancienne armée des Sudistes, en fuite avec sa compagnie depuis la défaite du général Lee, et qui une fois encore va jouer une carte essentielle. J'espère que le pardon lui sera accordé ! Chez les antagonistes, on retrouve Pedro-Luiz Armendariz, le gouverneur du Sonora, qui prend plus de place et offrira une véritable difficulté pour notre cowboy préféré. Quanah-n'a-qu'un-oeil dit Aigle Solitaire, en tant qu'antagoniste principal est toujours autant hargneux et impitoyable, faisant office de grand méchant convaincant qui malheureusement n'aura pas droit à une conclusion à la hauteur dans sa confrontation contre Blueberry. Quel dommage ! Du côté des nouveaux personnages on est peu mais bien servi avec Pinto, un ami de beuverie à Jim Mac Clure qui pour 200 dollars va prendre tous les risques pour conduire nos héros à la mine de San Feliu. Un protagoniste vieux et courageux qui malheureusement perdra la vie.
CONCLUSION :
La Piste des Navajos de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud en tant que cinquième volume venant conclure le cycle autour des premières guerres indiennes, est une conclusion pleine de surprises autant d'un point de vue dramatique qu'esthétique avec des moments de tension particulièrement efficaces. Un final engagé autour d'une vaste histoire qui malheureusement trouvera un dénouement final survolé qui effleure à peine les choses importantes finissant notre lecture sur une touche amère qui a de quoi étonner.
La légende du Lieutenant Mike T. Blueberry est définitivement posée avec l'achèvement de cette aventure !
- Cochise n'est plus qu'un vieux bavard, peureux comme un chien de prairie ! Il est temps qu'un chef jeune et brave le remplace ! Nous nous battrons mais d'abord, je tuerai Nez-Cassé !
- Non ! Je ne veux pas que Nez-Cassé risque de me priver de ton scalp !
- Crowe était mon frère ! J'ai juré de le venger ! Et c'est moi que Quanah a défié en premier ! C'est à moi qu'appartient donc en premier, le droit de l'affronter et de tenir mon serment...